“Occupy Wall Street, Occupy the Media”
Si seulement c’était vrai ! A lire la presse américaine, on a l’impression que la révolution est proche et que la planète va bientôt succomber à une déferlante “peace and love” digne des années 1970. Le mouvement Occupy Wall Street “s’étend”, nous dit-on. “Il prend de l’ampleur.” Le 17 octobre, “OWS” a “fêté son anniversaire”. Un mois déjà, et 300 000 dollars en donations, placés, non pas chez Morgan Chase bien que les protestataires s’y rendent fréquemment, mais à la banque Amalgamated, possédée à 100 % par les syndicats.
La presse est à la fête. Occupy Wall Street est dans toutes les pages. La section News, bien sûr, mais aussi Style (pour la créativité des pancartes), Art (“quel logo” pour le mouvement ?), Opinion (“La gauche déclare son indépendance”, analyse le sociologue Todd Gitlin). Jamais les manifestations contre la guerre en Irak, même celle de 100 000 personnes en 2003, n’ont bénéficié d’un traitement comme celui-là.
Tous les chroniqueurs ont fait le déplacement de Zuccotti Park pour se rendre compte par eux-mêmes de la nature du mouvement. Ils s’extasient sur le fait que les manifestants, interdits de porte-voix par la police, ont inventé une méthode “générée par le peuple” pour amplifier le son. Les premiers rangs répètent en choeur (LES PREMIERS RANGS REPETENT EN CHŒUR) la phrase de l’orateur (LA PHRASE DE L’ORATEUR), ce qui permet aux rangs du fond (CE QUI PERMET AUX RANGS DU FOND) de suivre les explications (DE SUIVRE LES EXPLICATIONS). C’est lent, fastidieux. Les discours sont hachés, robotisés, mais en même temps collectivisés. Les militants appellent cela : le “micro humain”.
Bizarrement, la presse ne s’attarde jamais sur le nombre de manifestants. “Quelques centaines.””Plusieurs milliers”… Les chiffres restent des plus flous. Les plateformes de réseaux sociaux signalent les check-ins, les inscriptions aux événements du jour : 6 personnes à Jersey City, 51 à Saint-Louis, 403 à Boston, 3 660 à New York… Le 15 octobre, Nate Silver, du New York Times, a épluché les journaux locaux et les données disponibles. Il en a déduit que les participants à la manifestation internationale n’étaient pas plus de 70 000 dans 150 villes. C’est peu compte tenu de la publicité autour du mouvement. Dès sa deuxième manifestation anti-impôts, en avril 2009, le Tea Party avait rassemblé 500 000 personnes. Cela n’a pas empêché la presse de claironner : “Occupy Wall Street fait école dans le monde entier” (dans leur insularité, les médias américains croient que le mouvement est parti de Wall Street).
Mais peu importe le nombre. C’est la perception qui compte. La presse ne fait que refléter le sentiment d’une montée générale des revendications. L'”automne américain” après le printemps arabe, comme l’a souhaité Van Jones, un ancien collaborateur de Barack Obama, retourné au militantisme. Les “indignés” sont dans l’air du temps. Ils ne sont pas nombreux dans les sacs de couchage de Freedom Plaza, à Washington, mais ils ont trouvé un écho disproportionné dans le paysage politique. Selon un sondage de Time Magazine, 54 % des Américains ont une opinion positive du mouvement (alors qu’ils ne sont plus que 27 % à approuver le Tea Party, rendu responsable de l’intransigeance à Washington).
Les banquiers, on s’en doute, sont un peu moins emballés. John Paulson, le manager de hedge fund et 17e fortune du pays, a remis à leur place ceux qui avaient eu l’impudence de venir occuper les abords de son hôtel particulier de la 86e Rue. “Les 1 % les plus riches ont payé 40 % des impôts”, a-t-il signifié. Un autre banquier a confié son exaspération au New York Times : “Qui paie les impôts, croyez-vous ? La finance, c’est l’une des dernières choses que l’on produit dans ce pays. Si vous voulez délocaliser encore plus de jobs, continuez à attaquer les services financiers !” Certains républicains accusent Occupy Wall Street d’attiser la “lutte de classes”. Ils ont déjà des cauchemars, comme le promoteur immobilier Joe Kaempfer. “Les enfants des riches seront assassinés dans leur lit par les affamés”, a-t-il prophétisé pour le Washington Post.
Jusqu’à présent, Barack Obama s’est gardé de surfer ostensiblement sur le mouvement. Il s’est contenté de dire qu’il “comprend la frustration” des protestataires et que Martin Luther King lui-même aurait voulu “confronter les excès de Wall Street”. Mais, a-t-il ajouté, “sans démoniser les gens qui y travaillent”. Pour Wall Street, c’est probablement déjà trop. Le secteur financier qui l’avait soutenu en 2008 a maintenant les yeux tournés vers le républicain Mitt Romney. “Les démocrates ne peuvent pas avoir le beurre et l’argent du beurre”, a résumé Politico.com.
Objectivement, le mouvement devrait aider Barack Obama, lui qui essaie d’arracher aux républicains ne serait-ce qu’une augmentation minime des impôts pour les super-riches. Alors que le Tea Party a maintenu le débat pendant deux ans sur le terrain du déficit, Occupy Wall Street l’a amené sur celui des inégalités. Les statistiques qui ne rencontraient qu’un écho limité sont maintenant citées partout et plus personne n’ignore que les 400 Américains les plus riches possèdent plus que les 150 millions d’Américains d’en bas. Pour faire passer le message, il aura fallu un mouvement dépourvu de mégaphone et de porte-voix.
Corine Lesnes, lemonde.fr
Les derniers commentaires