Prolégomènes sur le « système des États »
Traduction par nos soins du dernier texte du site de la revue « Endnotes »
Par Raffaele Sciortino auteur de « La température du système. Guerre et dégel dans la crise mondiale » traduit et publié sur dndf et Robert Ferro de la revue/site « Il Lato Cattivo », dernier livre publié « Intérêts matériels, Interventions 2017-2022 ».
Prolégomènes sur le « système des États »
par Raffaele Sciortino, Robert Ferro
Introduction
Il est généralement admis que Karl Marx avait prévu un volume consacré à l’État dans le plan du Capital, volume dont il n’a même pas rédigé l’ébauche. Après Marx, plusieurs érudits ont insisté sur le caractère incomplet de la théorie marxienne à cet égard, et bien qu’aucun ne se soit explicitement donné pour tâche de compléter le projet initial de Marx sur l’État, certains ont néanmoins tenté de combler partiellement cette lacune. S’écartant de l’opinion dominante, ce texte suggère que l’État en tant que tel ne présente pas d’obstacles particuliers à la théorie marxiste, et que le dispositif conceptuel marxiste est suffisant pour en faire une analyse exhaustive. L’articulation théorique à partir de laquelle les choses se compliquent réside dans le passage de l’abstrait au concret, qui, dans l’œuvre de Marx, coïncide avec la transition du concept de capital en général à la multiplicité des capitaux individuels concurrents. Suivant la méthode marxienne, nous cherchons à esquisser la transition de l’État capitaliste en général – une notion qui n’est adéquate qu’au plus haut niveau d’abstraction – à une pluralité d’États qui se déploient et se rapportent les uns aux autres dans un système d’États. Selon nous, un tel système, en tant que véritable contrepartie politique du mode de production capitaliste dans son existence réelle, doit être analysé comme faisant partie d’une totalité : le marché mondial. Nous reconnaissons l’activité indispensable d’organisation du marché mondial comme sa logique fondamentale. Les implications théoriques et politiques sont vastes et largement inexplorées par la recherche marxiste. Un tel cadre vise à permettre une meilleure compréhension du marché mondial en tant qu’espace « produit », fortement structuré et n’ayant jamais préexisté à sa formalisation institutionnelle ; en même temps, il doit être compris comme une contribution à la reformulation des questions de stratégie et de pouvoir sur une nouvelle base, dans la perspective du dépassement des relations capitalistes qui semblent aujourd’hui osciller entre crise et guerre.
La question
Dans cet article, notre point de départ consiste en trois hypothèses de base qui seront considérées comme acquises dans la suite de la discussion. La première est que le capitalisme, ou le mode de production capitaliste (MPC) dans la terminologie de Marx, représente le mode de production prédominant dans l’histoire moderne et contemporaine, et que cette prédominance n’a fait que s’accentuer au fil du temps. La deuxième est que l’architecture politique prédominante qui accompagne le développement du MPC à l’échelle mondiale se présente sous la forme d’un « système d’États » 1 issu de la généralisation planétaire de l’État moderne (national ou multinational). La troisième est que cette forme précise d’État, qui diffère de ses formes prémodernes et précapitalistes, doit être considérée comme qualitativement supérieure aux institutions internationales et supranationales, qui sont, à notre avis, des excroissances d’États individuels ou des arènes de coopération et de confrontation entre États, et à plus forte raison des institutions locales ou régionales, qui sont nécessairement des composantes subordonnées de ces États (à moins qu’elles ne deviennent elles-mêmes des États en raison de mouvements séparatistes).
Dans le domaine des relations internationales (RI) ou de la géopolitique, l’existence d’un tel système d’États (ou système interétatique) ne semble pas avoir jusqu’à présent suscité le besoin d’une élucidation logique-philosophique préalable : assumé comme un donné, il est au mieux lié à la diversité anthropologique des agrégations humaines (familles, tribus, nations, etc.). Certains auteurs du courant réaliste, comme John J. Mearsheimer, insistent en particulier sur l’impossibilité radicale pour ces agrégations de parvenir à un accord définitif sur les « premiers principes » et sur « ce qui constitue la bonne vie » 2. Ces auteurs reconnaissent également à juste titre la nature hautement compétitive du système interétatique, mais même cet attribut fondamental ne semble pas nécessiter d’explication rigoureuse, si ce n’est de recourir à des considérations extrêmement générales sur la nature humaine ou l’incertitude structurelle des relations interétatiques. Comme nous le verrons, le problème réside, à notre avis, dans la séparation méthodologique entre l’État et la sphère économique. Malheureusement, dans le domaine des relations internationales, cette séparation est contestée principalement par les courants non réalistes (par exemple, la théorie de l’interdépendance économique) et surtout pour remettre en question le caractère compétitif du système interétatique lui-même.
Dans la vision marxiste, la nature conflictuelle de ce système semble liée à la concurrence économique, à des échelles et des ampleurs variées, entre les entreprises, c’est-à-dire des portions de capital qui vivent ou périssent en fonction de leur capacité à générer des profits. L’hypothèse implicite ou explicite ici est que la concurrence économique entre les entreprises et les branches de l’économie capitaliste se répercute, d’une manière ou d’une autre, sur la politique intérieure (c’est-à-dire la concurrence politique entre les partis politiques, ou les fractions de partis dans les régimes à parti unique) ainsi que sur la politique étrangère. Si le caractère concurrentiel du système interétatique est donc compris par les marxistes comme une conséquence du caractère concurrentiel des relations économiques, la raison d’être du système interétatique lui-même, c’est-à-dire d’un ensemble articulé composé d’une pluralité d’États en interaction, est liée à deux explications opposées : la première considère cette pluralité comme une sorte de vestige des conditions dans lesquelles l’émergence du MPC s’est produite historiquement à partir des sociétés précapitalistes. Cette vision, que l’on retrouve par exemple dans les écrits de Robert Brenner 3, considère que la formation d’un super-État mondial unique, aussi improbable soit-elle, serait plus conforme au MPC. La seconde explication, au contraire, considère la pluralité des entités étatiques comme une caractéristique adéquate du MPC dans son existence concrète, par intuition d’un lien fort et nécessaire entre le niveau économique (les nombreux capitaux concurrents) et le niveau politique (les nombreux États), sans toutefois pouvoir expliquer ce lien de manière satisfaisante. La divergence théorique esquissée ici peut être décrite comme l’opposition entre un historicisme finalement efficace sur le terrain de la recherche empirique, mais conceptuellement faible, et un structuralisme qui échoue précisément sur son terrain privilégié, logique-conceptuel, dans la mesure où il se révèle incapable de déduire le système interétatique des catégories plus abstraites de l’analyse du MPC. Notre objectif dans cet article n’est évidemment pas étranger aux préoccupations de la seconde approche que nous venons d’évoquer. Néanmoins, notre méthode diffère de cette dernière en ce qu’elle ne procède pas de la séparation de la théorie et de l’histoire, mais cherche plutôt à intégrer cette dernière à la première, suivant la voie tracée par Marx lui-même dans Le Capital 4 suivant laquelle l’agencement des concepts et les relations qu’ils entretiennent les uns avec les autres ne résultent « ni d’une séquence purement logique, ni d’une organisation purement conforme aux faits historiques » 5.
Compte tenu de l’ampleur de la question et des limites de l’espace, nous ne présenterons pas une revue de la littérature sur les théories marxistes de l’État, ni un résumé des débats marxistes sur l’État, mais nous nous limiterons presque exclusivement à l’œuvre marxienne afin d’isoler les pierres angulaires de toute théorie marxiste de l’État. Nous en évaluerons ultérieurement les limites pour élaborer une théorie du système interétatique, et passerons à l’inventaire des matériaux et notions marxiennes susceptibles d’être mobilisés dans cette direction. Pour les raisons déjà évoquées, nous ferons un usage plutôt parcimonieux des citations, tout en fournissant aux lecteurs toutes les références bibliographiques pour juger du bien-fondé de nos thèses et en réservant les développements ultérieurs.
ESQUISSES D’UNE THEORIE MARXISTE DE L’ETAT
Il est généralement admis que Marx n’a pas réussi à écrire le volume ou la section sur l’État prévus dans le plan (révisé à plusieurs reprises) du Capital. Cependant, l’État est loin d’être absent de son cadre théorique. Outre les innombrables remarques et observations sur le sujet, disséminées dans ses premiers ouvrages ou ses ouvrages plus historico-politiques, l’État est également présent – parfois implicitement, parfois explicitement – dans son opus magnum et dans ses ébauches ou travaux préliminaires 6. En effet, on peut soutenir, à la suite de Tran-Hai-Hac 7, que la notion de MPC implique nécessairement celle d’État, et que l’élucidation de l’aspect politique (c’est-à-dire lié à l’État, précisément) inhérent aux notions de force de travail, d’argent et de rente foncière capitaliste, est une composante centrale du projet critique marxien en tant que critique de l’économie politique, donc radicalement dissemblable de toute économie politique critique. Plus généralement, à la différence de l’économie néoclassique, pour laquelle la prétendue tendance à l’équilibre vise précisément à nier toute nécessité d’intervention non privée, la position marxienne se caractérise par le refus de toute propension spontanée à l’harmonie inhérente au MPC 8. La tendance réelle, dit Marx, évolue vers un déséquilibre qui découle, sous toutes ses formes de manifestation, du double caractère de l’économie capitaliste. Le capitalisme est à la fois un entrelacement de production et de circulation de la valeur (ou, en termes plus empiriques, un système de prix) et un processus matériel, dont le cours – même dans des conditions optimales du point de vue des relations de valeur – est toujours exposé au risque de désorganisation. Même si le MPC ne déclenche pas en permanence des crises et des récessions, les relations entre capitalistes et travailleurs ou les relations mutuelles entre entreprises ou secteurs sont potentiellement porteuses de perturbations souvent dépourvues de tout effet stabilisateur endogène. Compte tenu de cet état d’instabilité congénitale, la reproduction élargie du MPC n’est jamais acquise d’avance et présuppose à chaque instant la fonction de pilotage de l’État vis-à-vis du capital privé.
Cette inscription immédiate de l’État dans la sphère de l’activité économique contredit les représentations habituelles, héritées de l’économie politique classique, d’un État dont l’« intervention » dans le champ économique – opportune ou non, souhaitable ou non – s’effectuerait en tout cas « de l’extérieur ». Dans la vision marxienne, la spécificité de l’État réside dans la capacité à échapper aux mécanismes de formation et de modification du taux de profit moyen ou, pour le dire plus simplement, à créer, au sein même du champ des forces économiques, une sphère d’activité à l’abri de la concurrence et donc du critère de rentabilité au sens strict. Il ne s’agit pas de situer l’État en dehors du champ des agents économiques. Les impératifs de reproduction de relations économiques données au sein d’un mode de production qui n’a pas de tendance naturelle à l’équilibre exigent l’existence d’une telle sphère, ainsi que son expansion effective au fur et à mesure que le processus historique se déroule. Le caractère multidirectionnel, et potentiellement global, de l’activité de l’État dans la sphère économique exige une relative autonomie par rapport aux intérêts particuliers et à court terme typiques des acteurs économiques privés. La raison de cette situation ne peut être clarifiée qu’en soulignant la nature décisive de l’enjeu : la perpétuation de la société dans des arrangements bien définis, c’est-à-dire la lutte efficace contre les pulsions autodestructrices inscrites dans son fonctionnement sur la base des relations sociales capitalistes. À un niveau superficiel, cette affirmation pourrait être considérée comme contradictoire par rapport à la nature de classe de l’État, typique du marxisme, mais elle ne l’est pas. Ce qui doit être mis en jeu ici, c’est la fragmentation de la classe capitaliste, qui ne partage, dans son ensemble, qu’un seul intérêt commun, de nature très générale, dans le maintien/l’approfondissement du processus d’extraction de la plus-value. Pour exister de manière efficace en tant que pôle dominant de la société, son unité doit exister en tant que force contraignante distincte de l’environnement entrepreneurial sensu stricto, et capable, si nécessaire, de s’imposer à tous les acteurs particuliers, qui sont toujours susceptibles de poursuivre leurs propres intérêts même au détriment de la viabilité des relations de production existantes. Cela étant dit, examinons brièvement les principales formes et modalités de l’activité étatique dans le magnum opus marxien.
Conditions de la vente et de l’achat de la force de travail
Selon la théorie du Capital, les relations sociales capitalistes impliquent trois grandes catégories économiques : le capital, le travail salarié et la propriété foncière. La relation entre le travail salarié et le capital est la plus fondamentale au sein du triangle, puisqu’elle crée la substance économique qui est partagée entre les trois catégories (c’est-à-dire la valeur). Le premier moment de cette relation consiste en la vente et l’achat de la force de travail, lorsque les travailleurs et les capitalistes fixent les termes de l’échange entre le travail et le capital en fonction de l’état actuel des relations de pouvoir. L’État joue un rôle fondamental dans la marchandisation de la force de travail, tant du point de vue de son apparition et de son développement initial que de la continuité du processus à une échelle élargie. Dans plusieurs écrits, Marx et Engels ont souligné que dans les sociétés précapitalistes, depuis l’Antiquité, l’État, et l’armée en particulier, ont abrité les premières formes de travail salarié 9. À l’aube de la modernité, alors que l’apparition du travail salarié commence à se répandre dans l’économie privée des centres urbains, l’action de l’État pour le consolider et l’étendre aux campagnes, qui concentrent encore l’essentiel du processus économique, est décisive. Pour y parvenir, il est nécessaire d’entreprendre la séparation des travailleurs des moyens de production, tant en termes de propriété que de possession. Cela se fait par des mesures coercitives introduites par l’État : enclosures, expropriation des paysans indépendants, nouvelles lois contre le droit coutumier (sur la cueillette du bois, le braconnage, etc.), contre le vagabondage, etc. Le chapitre XXIV du volume I du Capital, consacré à la « prétendue accumulation primitive » 10, fournit l’exemple de l’Angleterre, où la formation de capital est endogène. Le dernier chapitre du volume I, « La théorie moderne de la colonisation » 11, décrit l’expropriation des producteurs immédiats dans les zones où la formation de capital n’est pas endogène. Marx écrit que « la bourgeoisie montante a besoin de la puissance de l’État » 12 et définit les moyens qu’elle emploie comme des « actes de violence directe » 13, « extra-économiques » 14 dans une certaine mesure, bien que « la force soit […] elle-même une puissance économique » 15 (c’est nous qui soulignons). Dans la mesure où l’État crée les conditions de la relation entre le travail salarié et le capital, il établit également la propriété foncière capitaliste, puisque celle-ci présuppose également la séparation du travailleur et des moyens de production, contrairement à la propriété foncière féodale, qui accordait la possession de la terre au serf et enchaînait de fait l’un à l’autre 16.
Pourtant, comme l’écrit Marx, « il ne suffit pas que les conditions de travail soient concentrées à un pôle de la société sous la forme de capital, tandis qu’à l’autre pôle se trouvent regroupées des masses d’hommes qui n’ont rien à vendre que leur force de travail. Il ne suffit pas non plus qu’ils soient contraints de se vendre volontairement » 17. Même après avoir conféré un caractère irréversible et une certaine taille critique à la relation entre le travail salarié et le capital, sa continuité exige que l’État assure toujours la rencontre quotidienne entre les vendeurs et les acheteurs de force de travail, si possible dans des conditions avantageuses pour ces derniers. Avec le développement de la production capitaliste, la continuité de l’échange entre le travail et le capital se produit de plus en plus « naturellement », en vertu des conditions économiques dominantes et de leur force objective. Néanmoins, « la force extra-économique directe est bien sûr toujours utilisée », même si « ce n’est que dans des cas exceptionnels » 18.
Conditions de la consommation de force de travail
Dans la conception marxienne, le profit industriel n’est qu’une des formes métamorphosées de la plus-value. Les autres sont l’intérêt et la rente foncière. Mais pour que la répartition de la plus-value ait lieu, rémunérant également les acteurs sociaux qui ne sont pas directement impliqués dans la sphère de la production, la production de plus-value est nécessaire. Elle se déroule selon deux modalités fondamentales : la production de plus-value absolue, fondée sur l’augmentation des heures de travail, et la production de plus-value relative, foncée sur l’augmentation de la productivité grâce à l’investissement dans les machines.
Inévitablement, ces deux modalités de production de plus-value sont aussi deux manières différentes d’aborder la définition de la journée de travail « normale » socialement acceptée. L’État participe à cette définition, qui inclut la réglementation de la journée de travail, c’est-à-dire de ses limites légales, soit en accompagnant les tendances à l’œuvre au sein des entreprises, soit en s’y opposant. Le problème de la réglementation de la journée de travail apparaît dans le volume I du Capital, en particulier dans le chapitre VIII, « La journée de travail », § 5-6 19, et dans le chapitre XV, « Les machines et la grande industrie », § 9 20. Dans ces passages, Marx montre comment l’État favorise d’abord la plus-value absolue par la législation, en combinaison avec les processus d’expropriation déjà mentionnés, afin d’enraciner la disposition au travail salarié dans le tissu social. À un stade ultérieur, le développement d’une nouvelle base technique pour le processus de travail – en l’occurrence, le passage de la manufacture à la grande industrie – rend théoriquement possibles des gains de productivité sans précédent, désormais indépendants de l’allongement de la journée de travail. Malgré cela, il n’y a pas de passage automatique de la plus-value absolue à la plus-value relative. Pour que cela se produise, deux conditions sont nécessaires : la résistance des travailleurs et une législation limitant la journée de travail. En introduisant une telle législation, l’État agit certes à contrecœur, sous la pression de la contestation sociale. Mais il agit aussi dans l’intérêt de la reproduction à long terme, dans la mesure où il favorise une utilisation moins épuisante et destructrice de la force de travail.
Les industries d’État
Jusqu’à présent, nous avons commenté des passages relativement connus du Capital, tome I de Marx. Ce que l’on sait moins, c’est que le tome II examine également des cas où l’État assume directement le rôle du capitaliste, c’est-à-dire le rôle de propriétaire des moyens de production et de gestionnaire du processus de travail. Marx explique clairement qu’une telle implication dans le processus de production immédiat ne remet pas nécessairement en cause la nature capitaliste des activités économiques ainsi assumées par l’État, puisque « le capital social est égal à la somme des capitaux individuels (y compris le capital social et aussi le capital d’État, dans la mesure où les gouvernements emploient de la main-d’œuvre salariée productive dans les mines, les chemins de fer, etc., et fonctionnent comme des capitalistes industriels) » 21 (c’est nous qui soulignons). Il existe cependant des secteurs de la production sociale qui sont absolument indispensables au capital privé dans son ensemble, mais qui sont peu compatibles avec l’impératif de rentabilité en raison de leurs caractéristiques physiques. C’est notamment le cas des infrastructures matérielles parfois décrites comme des « monopoles naturels ». Les investissements pour leur construction impliquent généralement un temps de rotation extrêmement long. En bref, le temps de rotation est le temps nécessaire à un capital donné pour revenir à sa forme initiale après avoir traversé toutes les étapes de son cycle (M-C-M’). À cet égard, Marx envisage l’éventualité selon laquelle « les entreprises qui nécessitent une longue période de travail, et donc un investissement important pendant une longue période, en particulier si elles ne peuvent être menées qu’à grande échelle, ne sont souvent pas du tout poursuivies de manière capitaliste. Les routes, les canaux, etc., par exemple, ont été construits aux frais de la municipalité ou de l’État […] » 22. Dans les deux cas que nous venons de mentionner – les industries d’État destinées à la rentabilité d’un côté, les industries d’État vouées à une gestion non rentable de l’autre – le passage de l’entreprise sous contrôle de l’État l’extrait de la concurrence du marché, donc de l’égalisation du taux de profit. Si cette entreprise se caractérise par une faible rentabilité, comme c’est souvent le cas dans la pratique, cela conduit à une augmentation du taux de profit moyen dans le secteur privé.
Conditions de la circulation de la valeur
Contrairement à une opinion répandue, la théorie monétaire du Capital ne prône pas une conception « neutre » de la monnaie, considérée comme un simple intermédiaire pour des transactions d’échange qui auraient autrement lieu par troc. L’idée de la monnaie comme équivalent universel implique que la monnaie est recherchée en tant que telle, en raison de sa valeur d’usage spécifique, c’est-à-dire sa capacité à être échangée contre n’importe quelle autre marchandise, ici et maintenant ou plus tard, et non pas seulement à servir de simple intermédiaire pour acquérir une marchandise particulière. De plus, la séparation entre la marchandise et la monnaie, qui fait d’une seule marchandise l’équivalent universel de toutes les autres, sépare cette même marchandise de toutes les autres. Par conséquent, alors que, selon Marx, la genèse de la monnaie est clairement un processus endogène de relations économiques, et non un acte politique, le monopole inhérent à la fonction d’équivalent universel requiert implicitement le pouvoir de l’État en tant que promoteur et garant 23. Ainsi, la théorie monétaire dans Le Capital n’est ni une théorie purement « métalliste » de la marchandise-monnaie, ni une théorie (pré-keynésienne ou keynésienne) de la monnaie fiduciaire. Elle intègre et surmonte les deux.
Dans le volume II du Capital, Marx précise que « nous entendons par argent l’argent métallique, à l’exclusion de l’argent symbolique, des simples signes de valeur propres à certains pays, ainsi que de l’argent de crédit, que nous n’avons pas encore développé. Premièrement, c’est le cours de l’histoire : l’argent de crédit n’a joué aucun rôle, ou du moins pas un rôle significatif, dans la première période de la production capitaliste » 24. Bien que son argument historique soit discutable, la monnaie métallique a pour Marx l’avantage de résumer le concept de monnaie en général, c’est-à-dire de concentrer toutes les fonctions qu’il lui attribue. La monnaie métallique peut servir à la fois de moyen de circulation (de paiement), de mesure de la valeur et de réserve de valeur, car les métaux précieux sont produits sur la base du mécanisme du temps de travail socialement nécessaire. Pourtant, la notion marxienne de monnaie-marchandise repose sur des hypothèses non métallistes, puisqu’elle ne peut être identifiée au métal dont elle est matériellement composée. L’or ou l’argent ne sont pas de la monnaie métallique en tant que telle : pour le devenir, il faut que la Monnaie nationale les transforme en pièces. Et dans la mesure où l’État adopte la monnaie métallique, il en établit le cours légal et les modalités de convertibilité en monnaie fiduciaire. Ce n’est donc pas sans raison que Marx écrit, dans un passage de l’Urtext, que « la monarchie absolue, elle-même déjà un produit du développement de la richesse bourgeoise à un niveau incompatible avec les anciennes relations féodales, a besoin – conformément au pouvoir général uniforme qu’elle doit pouvoir exercer en tout point de la périphérie – d’un instrument matériel de ce pouvoir : l’équivalent universel […] » 25. Ainsi, la monarchie absolue « s’emploie activement à faire de la monnaie le moyen de paiement universel » 26. S’il avait été inclus dans Le Capital, ce passage aurait évité bien des malentendus.
DE L’ETAT EN GENERAL AU SYSTEME D’ETAT
Dans la partie précédente, nous avons vu les principales manières dont l’État se présente tout au long de l’exposé du Capital. Nous avons laissé de côté certaines d’entre elles, sans doute importantes, mais qui ne spécifient pas (ou moins) l’État en tant qu’État capitaliste : l’État en tant que percepteur d’impôts, l’État en tant que propriétaire foncier, l’État en tant que débiteur 27 et quelques autres. Rappelons aussi que ce que nous avons résumé ici n’est pas une version particulière de la théorie marxiste de l’État, mais seulement ses grandes lignes. Toute variante de la théorie marxiste de l’État, dans la mesure où elle partage tout ou partie de ces grandes lignes, présente une série de problèmes lorsqu’elle doit composer avec la dimension expansive et immédiatement internationale du MPC. Nous les résumerons rapidement, avant de discuter de la manière dont ils pourraient être résolus.
Problèmes d’une théorie marxiste de l’État
Comme suggéré au début de cet article, l’État capitaliste n’existe pas autrement que comme une pluralité d’États. Pourtant, dans le récit donné jusqu’à présent, l’identité entre l’espace du marché et le territoire de l’État, tous deux conçus comme uniques et se chevauchant, était implicitement supposée. Non seulement l’histoire réelle, mais la théorie même de Marx contredit cette identité, posant la tendance à la formation d’un marché mondial, dont le degré d’intégration dépasse la simple juxtaposition des marchés dits nationaux : « La tendance à la constitution du marché mondial est donnée directement dans le concept même du capital »28. Ainsi, le décalage entre le marché, par définition animé par une dynamique universaliste, et l’État, destiné (même lorsqu’il est politiquement expansionniste) à rester une pièce d’une mosaïque plus vaste, est pleinement présent dans Le Capital 29, mais n’est pas étudié en tant que tel par Marx.
Dans nos Grandes lignes, nous avons mis en évidence un double lien entre l’un et les multiples : d’une part, entre les multiples marchandises et l’argent (socialement validé par l’État) ; d’autre part, entre les multiples capitaux et l’État lui-même. Le premier peut être considéré comme un aspect ou une conséquence du second. Dans les deux cas, cependant, ce lien permet de saisir une hiérarchie spécifique entre les agents économiques. L’État n’est pas en soi l’acteur principal ou prédominant dans ce cadre, mais il est le plus puissant en ce qu’il est toujours capable d’orienter les agents privés, même par la rétractation ou le laissez-faire. Cependant, une telle compréhension de la structuration interne et de la hiérarchie du champ économique n’échappe pas à ce que Claudia Von Braunmühl a appelé « le point de vue traditionnel qui voit l’État comme déterminé en premier lieu par des processus internes auxquels des déterminants externes sont, pour ainsi dire, ajoutés a posteriori » 30. En effet, Von Braunmühl et ses interlocuteurs dans le Weltmarkt-Debatte des années 1970 en Allemagne ont grandement contribué à une vision plus globale, mais ils ont parfois rechuté dans une simple inversion du point de vue qu’ils critiquaient, en hypostasiant le marché mondial comme un fait statique (et non comme une tendance qui est par définition toujours en cours, à la Marx) ou une sorte d’axiome. Comme Von Braunmühl traite « l’État-nation bourgeois » comme une « particularisation » du marché mondial, défini comme une sphère de circulation du capital 31, elle effectue implicitement la déduction de l’État exclusivement à partir de la relation intercapitaliste (c’est-à-dire entre les nombreux capitaux), et est contrainte de réintroduire a posteriori la relation entre le travail et le capital. Pourtant, le véritable rapport social capitaliste est à la fois le rapport intercapitaliste et le rapport entre le capital et le travail. Mais par où commencer pour conceptualiser l’État ? En suivant les suggestions méthodologiques de Marx concernant le passage de l’abstrait au concret, il est clair que l’État doit être dérivé en premier lieu du rapport entre le capital et le travail, tandis que les nombreux États et le marché mondial ne peuvent être déduits que dans une étape ultérieure 32. Cela ne signifie nullement que ces derniers, et la relation intercapitaliste dont ils sont l’expression, sont moins pertinents socialement. Tant que le MPC se reproduit normalement, même en dépit de chocs majeurs, de récessions, etc., la relation mutuelle des nombreux capitaux prévaut inévitablement. Néanmoins, le cœur de l’analyse de Marx réside dans le dévoilement de la conditio sine qua non (l’extraction de la plus-value) et dans la mise en évidence de son caractère historiquement déterminé et stratégiquement critique. À ce niveau d’abstraction, l’État peut apparaître comme l’État en général, comme « l’organisation de la société bourgeoise sous la forme de l’État » 33, puisqu’il ne se rapporte pas à des facteurs externes. Mais dès que le concept de capital est précisé par l’introduction progressive de toutes ses différenciations internes, l’État en général devient l’État au singulier, s’inscrivant nécessairement dans un réseau de relations qui le transcende largement. Suivant l’intuition de Von Braunmühl, nous identifions ce réseau au marché mondial. Nous tenterons donc d’en déployer le concept dans toute son ampleur et sa profondeur, en appréhendant l’État comme partie d’un système d’États (ou système interétatique) et en faisant ressortir ce dernier comme un moment de différenciation interne (ou « autoréflexion », à la Hegel) du marché mondial lui-même.
Les nombreux États et le marché mondial
La notion de marché mondial ne doit pas être comprise comme la somme de marchés nationaux ou macro-régionaux plus étroits. En même temps, son existence en tant que totalité supérieure à la somme de ses parties ne produit pas une instance suprême qui rétablit entre ces parties leur interrelation sous la forme d’une force contraignante « externe ». En d’autres termes, le marché mondial est une totalité immanente, et non transcendante. C’est ce que saisissent les chercheurs réalistes en relations internationales lorsqu’ils affirment que le système interétatique est anarchique, c’est-à-dire qu’il n’existe pas de hiérarchie préétablie entre ses parties (c’est-à-dire les États). Malheureusement, la distinction méthodologique entre l’État et la sphère économique les empêche généralement de pousser cette puissante intuition jusqu’à ses conséquences ultimes. Si les États, et le système interétatique, s’inscrivent dans le cadre plus large du marché mondial, l’anarchie devient un attribut de l’ensemble, c’est-à-dire du marché mondial lui-même. Par conséquent, aucune hiérarchie préétablie entre les agents de nature différente – publics et privés – qui y participent ne peut être considérée comme acquise. Comme nous le verrons plus loin, cela ne nie pas que le marché mondial soit hautement structuré et différencié en interne. Cela ne conteste pas non plus la plus grande efficacité du niveau (inter)étatique par rapport aux autres niveaux et instances ; mais cela signifie que cette primauté des États est un résultat qui doit être constamment reproduit, et dont la reproduction – précisément – n’est jamais garantie. Derrière le fonctionnement relativement durable de l’anarchie concurrentielle à l’échelle mondiale, il faut toujours saisir, en arrière-plan, la production continue de plus-value, qui ne reste capable d’irriguer toutes sortes de ramifications – y compris celles situées le plus loin de ce que Marx appelle « la demeure cachée de la production » 33– que tant qu’elle fonctionne correctement. Ainsi, la primauté des États parmi les acteurs du marché mondial n’est pas une loi divine, mais le produit sans cesse renouvelé d’un processus social.
Pourquoi les États sont-ils en concurrence ? Chacun d’entre eux incarne un certain sous-ensemble économique composé d’un éventail hétérogène d’intérêts privés qui chevauchent la frontière entre le national et l’étranger. Les capitaux nationaux s’en vont, tandis que les capitaux étrangers affluent. Les États sont les vannes qui régulent ces mouvements. Sur le plan strictement « interne », les États fournissent, à tout le moins, un cadre réglementaire à la collision des intérêts privés. Un tel cadre, appliqué aux relations économiques concurrentielles, favorise nécessairement certains et nuit à d’autres, tout en essayant de préserver la reproduction de l’ensemble. Le degré de pénétration des capitaux étrangers peut grandement modifier la forme du cadre, qui est toujours – dans le contexte du marché mondial – un arbitrage entre les intérêts nationaux et étrangers. Au niveau interétatique, chaque État est appelé à prouver, jour après jour, sa capacité à prendre en compte les intérêts privés projetés à l’étranger en leur donnant une forme concentrée et organisée ; ce qui signifie également démontrer, jour après jour, qu’une telle expression concentrée et organisée est préférable à l’expression immédiate et purement privée de chaque capital individuel séparément. Ce dernier fait l’expérience de sa propre étroitesse chaque fois qu’il se heurte à un intérêt économique de sens opposé, et de poids égal, mais soutenu par « son » État.
Sur le marché mondial, les sous-ensembles économiques incarnés par les États ne sont pas des « économies nationales » au sens traditionnel du terme (telles que mesurées par la comptabilité nationale : PIB, balance commerciale, etc.), car chaque périmètre national contient une combinaison de forces économiques nationales et étrangères (voir ci-dessous, Libre-échange et protectionnisme). Par conséquent, ces sous-ensembles ne forment pas le marché mondial en se juxtaposant les uns aux autres, mais en s’interpénétrant de manière inégale. Certains d’entre eux dépassent largement leurs prétendues « économies nationales », tandis que d’autres sont bien plus petits que cela. Les analyses classiques du développement inégal et du « sous-développement » mettent ce fait sur la table de diverses manières, sans nécessairement le rendre explicite (voir ci-dessous, Disparités de développement et division internationale du travail). De la manière la plus contradictoire, les sous-ensembles économiques dominants remettent en question la géographie politico-administrative dessinée par les frontières des États, sans jamais pouvoir réellement les surmonter. Ce mouvement contradictoire résume le marché mondial comme tendance, c’est-à-dire comme une loi qui prévaut dans son propre caractère incomplet.
Dans le système interétatique, il n’y a pas de hiérarchie et de cadre réglementaire indépendants de la pratique des agents eux-mêmes, c’est-à-dire indépendants de l’ensemble des relations (multilatérales, bilatérales, unilatérales) de collaboration et de concurrence, d’attraction et de répulsion, que les États forment entre eux. Cela ne veut pas dire que la hiérarchie et le cadre réglementaire sont absolument absents, mais ils apparaissent comme des configurations provisoires, comme des cristallisations momentanées des relations de pouvoir entre sous-ensembles économiques, exprimées sous une forme concentrée à travers les relations entre États. Les mouvements de capitaux génèrent des frictions, des chocs, des poussées expansionnistes qui ne sont pas toujours compatibles entre eux, ce qui entraîne inévitablement des répercussions sur le terrain des relations interétatiques. Que l’ensemble de ces relations soit capable : a) de se maintenir sous la forme d’un système, c’est-à-dire de préserver la prédominance de la forme-État elle-même sur l’ensemble du globe ; b) de fournir un ordre relatif, est une fois de plus un résultat et jamais une conclusion acquise. Cela nécessite notamment l’accomplissement d’une fonction d’ordonnancement spécifique, qui ne peut être assumée que par une partie du système, à savoir un État. Mais lequel ? Seule la « puissance dominante du marché mondial » 35, c’est-à-dire l’État associé au sous-ensemble économique dominant à l’échelle mondiale (la Grande-Bretagne à l’époque de Marx, les États-Unis de 1945 à nos jours), en raison de sa force économique et politico-militaire, peut imposer un cadre réglementaire (provisoire) au système interétatique et remplir la fonction d’ordonnancement pendant un certain temps. Les périodes de concurrence « multipolaire » sur le rôle de la puissance dominante du marché mondial s’ouvrent avec des crises économiques majeures, signalant l’insuffisance de la plus-value par rapport au capital sur-accumulé, et se ferment en créant les conditions de la revitalisation de la production de plus-value – éventuellement par la guerre.
Anarchie et organisation
Comme prévu, l’activité d’organisation du marché mondial s’exerce sur une entité fortement sujette au désordre, et les États – y compris la puissance dominante du marché mondial – y participent en tant qu’acteurs partiels, sans en maîtriser la totalité. Les États n’ont de rapport avec la totalité qu’indirectement, de manière médiatisée, dans la mesure où ils parviennent à donner une forme concentrée et organisée aux intérêts des sous-ensembles économiques qu’ils incarnent. Mais la cohésion de l’ensemble n’exclut pas les conflits entre ses parties, et les États sont appelés à les exprimer. Cela se fait le plus souvent de manière pacifique, mais le recours à la force armée et surtout sa menace sont toujours à l’horizon. En bref, la conflictualité est un aspect inéluctable des relations interétatiques. Le cadre d’analyse marxien peut permettre de mieux comprendre le contenu et les causes d’une partie substantielle de ces conflits.
Les circuits de la concurrence
Le marché mondial n’est pas un « espace abstrait » 36. C’est un espace profond, irrégulier, très stratifié. Il est constitué d’une combinaison de marchés transnationaux, nationaux et sous-nationaux (régionaux). Ces trois strates ont toujours existé, bien que sous des formes différentes. Sur la première, de grandes entreprises de branches spécifiques se font concurrence sur des périmètres qui transcendent, parfois largement, les frontières des États. Sur le second, les grandes et petites entreprises se font concurrence dans un périmètre qui coïncide généralement avec le territoire d’un État. Dans le troisième cas, ce sont généralement des petites entreprises qui se font concurrence sur des espaces limités, coïncidant avec une fraction du territoire de l’État. Pour mettre en évidence la manière dont ces circuits se combinent, récapitulons brièvement la théorie de la concurrence de Marx contenue dans Le Capital, volume III, section 2, chap. IX et X 37. Contrairement aux représentations habituelles de la concurrence comme une « guerre de tous contre tous », Marx montre précisément qu’elle est structurée principalement par de petits segments de marché. Ces segments, que Marx appelle « branches », sont beaucoup plus étroits que ce que les commentateurs des affaires économiques appellent « secteurs » (par exemple : informatique, automobile, produits pharmaceutiques) : la base d’une branche peut être un seul produit ou même une petite partie, et la production du même produit, mais de qualité différente, peut correspondre à plusieurs branches. Une entreprise peut être située dans un grand nombre de branches, et une « branche » en résume un nombre énorme. L’essentiel est que seules les entreprises qui se consacrent à la production du même produit de qualité comparable sur le même marché sont considérées comme des concurrents directs. Ce n’est que grâce à cette forme de concurrence très concrète et très stricte qu’un prix réglementaire moyen et donc un taux de profit moyen émergent dans chaque branche de la production sociale. Le succès ou l’échec de chaque concurrent dépend de sa capacité à respecter le prix réglementaire en générant un profit égal ou supérieur au profit moyen de sa branche. Dans ce cadre, la concurrence généralisée n’est qu’une tendance qui, pour se réaliser pleinement, nécessiterait une condition qui n’existe pas dans la réalité quotidienne, à savoir une mobilité parfaite du capital entre les innombrables branches de production, de sorte qu’il puisse se déplacer sans cesse vers les branches les plus rentables et conduire ainsi à l’émergence d’un taux de profit moyen unique pour toutes les branches.
Le paysage concurrentiel se fragmente encore davantage lorsque l’on introduit les déterminants géographiques (non explicités dans l’analyse de Marx) dont nous sommes partis dans ce passage, à savoir la nature de la zone de marché. Les trois strates susmentionnées (infranationale, nationale et transnationale) ne sont pas des compartiments étanches : d’une part, parce que les entreprises réparties sur les trois niveaux sont, au moins dans une certaine mesure, chacune un acheteur pour l’autre ; d’autre part, parce que la croissance d’un capital donné peut l’amener à étendre sa zone de marché du niveau infranational au niveau national, et de celui-ci au niveau transnational. Une part importante de l’activité des États réside dans la supervision et l’accompagnement de ces processus, en particulier au carrefour entre l’espace national et l’espace transnational, soit en agissant en faveur de l’ouverture de nouvelles zones de libre-échange, soit, à l’inverse, en érigeant des barrières pour protéger les zones existantes. Ce qui nous amène au point suivant.
Libre-échange et protectionnisme
Les économistes libéraux voient parfois en Marx un défenseur du libre-échange contre le protectionnisme, ce que son Discours sur le libre-échange 38 semble confirmer. S’il est vrai que Marx a approuvé l’abolition des Corn Laws en 1846, il n’a jamais eu l’intention de célébrer le « libre jeu » des forces économiques, mais seulement d’accélérer la révolution. Le libéralisme est en soi une politique d’État fortement « interventionniste » 39, qui apparaît à un stade avancé de la trajectoire capitaliste. Le MPC est né protectionniste. Dans Le Capital, Marx associe principalement le protectionnisme à la phase d’accumulation primitive, dont les moments « se combinent systématiquement à la fin du XVIIe siècle en Angleterre ; la combinaison englobe les colonies, la dette nationale, le système fiscal moderne et le système de protection. Les méthodes dépendent en partie de la force brute, par exemple le système colonial. Mais elles utilisent toutes le pouvoir de l’État, la force concentrée et organisée de la société, pour accélérer, comme dans une serre, le processus de transformation du mode de production féodal en mode capitaliste, et pour raccourcir la transition » 40 .
Et encore :
« Le système de protection était un moyen artificiel pour les fabricants, ou pour les travailleurs indépendants expropriés, de capitaliser les moyens nationaux de production et de subsistance, et d’abréger de force la transition d’un mode de production obsolète au mode de production moderne. […] Système colonial, dettes publiques, impôts lourds, protectionnisme, guerres commerciales, etc., ces rémanences de l’époque manufacturière prennent des proportions gigantesques pendant la période de l’enfance de la grande industrie. 41
En fin de compte, « le système de protection avait à l’origine pour objectif de fabriquer artificiellement des capitalistes dans la mère patrie » 42. Marx est mort en 1883 et n’a donc pas pu voir la vague protectionniste de la fin du XIXe siècle ; de plus, sa compréhension du phénomène, essentiellement limitée aux droits de douane, ne pouvait pas inclure les formes ultérieures apparues au XXe siècle (mesures non tarifaires, protectionnisme fiscal). Néanmoins, la vision marxiste du protectionnisme comme moyen de « fabriquer des fabricants » nous permet de comprendre, contrairement à ce qu’il appelle les « optimistes du libre-échange d’aujourd’hui » 43, que la transition du protectionnisme au libre-échange n’est pas un aller simple. Le retour périodique du protectionnisme, que ce soit dans des conditions de retard ou de capitalisme mûr, peut s’expliquer par la nécessité d’encourager un retour industriel ou de faciliter l’émergence d’industries naissantes dans des conditions de concurrence autrement prohibitives. Dans l’une des invectives de Marx contre Henry Carey, on peut également identifier une dialectique spécifique du protectionnisme : Carey accuse l’Angleterre industrielle de tenter de transformer le reste du monde en pays agricoles arriérés, et reproche à l’Angleterre et à M. Urquhart en particulier la ruine de la Turquie, mais « la plaisanterie ici est que Carey […] veut empêcher le processus de séparation entre l’agriculture et l’industrie nationale par le biais de ce même système de protection qui l’accélère » 44. En somme, selon Marx, le protectionnisme dans des conditions de retard est généralement adopté pour protéger les petits producteurs de la concurrence internationale, mais le développement industriel qu’il stimule conduira cependant, à long terme, à leur disparition inévitable.
Disparités de développement et division internationale du travail
En lien étroit avec le point précédent, il est important de comprendre pourquoi, à partir d’un certain degré de maturité, l’entrée de nouveaux venus dans une certaine branche de la production sociale, ou le retour industriel d’un certain pays, sont si difficiles à réaliser, surtout dans des conditions internationales de libre-échange. Dans le volume III du Capital, dans le chapitre consacré aux contre-tendances à la baisse du taux de profit, Marx affirme que
« le capital investi dans le commerce extérieur peut générer un taux de profit plus élevé, tout d’abord parce qu’il est en concurrence avec des produits de base fabriqués par d’autres pays dont les installations de production sont moins développées, de sorte que le pays le plus avancé vend ses marchandises à un prix supérieur à leur valeur, même s’il reste moins cher que ses concurrents. […] La même relation peut s’appliquer au pays vers lequel les marchandises sont exportées et à partir duquel elles sont importées : c’est-à-dire qu’un tel pays donne plus de travail en nature objectivé qu’il n’en reçoit, même s’il reçoit les marchandises en question à un prix inférieur à celui auquel il pourrait les produire lui-même” » 45.
Nous sommes ici confrontés aux modifications que subit la loi de la valeur dans son application internationale, c’est-à-dire lorsque les échanges économiques, qui peuvent être analysés soit comme des échanges entre individus, soit comme des échanges agrégés entre pays, se produisent entre différents niveaux de productivité moyenne et de développement économique en général. Dans de telles conditions, souligne Marx dans le tome I, le travail le plus productif apparaît comme un travail d’une plus grande intensité. Cela signifie que les produits de deux processus de travail différents qui diffèrent toto caelo en productivité et en intensité deviennent comparables comme s’ils étaient le produit du même travail effectué à différents degrés d’intensité. Ainsi, une unité de travail plus intensive peut être échangée contre plusieurs unités de travail moins intensives. Supposons maintenant que les producteurs de denrées alimentaires des pays avancés, renforcés par une productivité plus avantageuse, pénètrent les marchés de débouchés (nationaux ou transnationaux) des producteurs des pays arriérés : nous verrons d’abord les premiers percevoir un profit excédentaire tant que le prix régulateur de la branche n’aura pas changé ; dans un second temps, les seconds seront progressivement exclus de ces marchés parce qu’ils ne pourront pas suivre le rythme des premiers, ce qui conduira finalement à un nouveau prix régulateur de la branche. Si, toutefois, les producteurs des pays avancés devaient entrer en concurrence avec ceux des pays arriérés sur l’ensemble de la production sociale, ces derniers disparaîtraient tout simplement, supprimant ainsi une source importante de profit excédentaire. Par conséquent, la division internationale du travail prend généralement la forme d’une spécialisation, par laquelle les pays plus avancés échangent des produits complexes « à forte valeur ajoutée » contre des produits plus basiques « à faible valeur ajoutée ». À l’époque de Marx, qui était encore caractérisée par la domination coloniale, cela prenait la forme d’une « nouvelle division internationale du travail […] adaptée aux besoins des principaux pays industriels » 46, qui « transforme une partie du globe en un champ de production principalement agricole pour approvisionner l’autre partie, qui reste un champ essentiellement industriel » 47. Si aujourd’hui la polarisation du monde entre pays industriels et pays agricoles est sans doute beaucoup moins nette, c’est que la forme même de la division internationale du travail est devenue un objet de contestation au sein du système interétatique, et que la forme promue par les producteurs les plus performants des zones avancées est périodiquement remise en cause (décolonisation, non-alignement, etc.).
L’immigration et le « marché du travail »
Le « marché du travail » est une notion que Marx a adoptée par simple commodité. Dans la conception marxienne de la relation entre le capital et le travail, ce qui est vendu n’est pas le travail lui-même (qui ne peut être une marchandise) mais la force de travail, qui est indissociable de son porteur. Cela le distingue de toutes les autres marchandises et exclut ipso facto l’existence d’un « marché du travail » similaire à celui des marchandises ordinaires à tous égards : d’abord parce que la force de travail est produite et reproduite dans des conditions non marchandes (si elle l’était, elle ne pourrait que transférer sa propre valeur au produit, mais pas y ajouter plus de valeur, tout comme les machines ou les matières premières) ; ensuite parce que le panier de moyens de subsistance formant la valeur de la force de travail n’est pas prédéterminé, mais sans cesse redéfini par la négociation, par le volume des besoins historiquement admis comme nécessaires, etc. Ajoutons un troisième point, qui découle de la séparation du travailleur et des moyens de production. Comme nous l’avons vu dans nos Grandes lignes, l’État joue un rôle important dans la création et le maintien des conditions de vente et d’achat de la force de travail. Cependant, pour que le « marché du travail » fonctionne correctement du point de vue des entrepreneurs, un surplus de main-d’œuvre disponible est nécessaire pour discipliner le comportement des travailleurs. Marx étudie la formation d’un tel excédent de main-d’œuvre dans le volume I du Capital, section VII, chapitre 23, sous le titre « La formation progressive d’une population surnuméraire relative ou armée industrielle de réserve » 48. Cette formation est due, selon Marx, à la diminution relative de la force de travail nécessaire par unité de capital, c’est-à-dire à l’augmentation générale de la productivité liée à l’application de la science au processus de production. Selon Marx, la formation d’une surpopulation relative est « une loi de la population propre au mode de production capitaliste » 49, indépendante de « l’accroissement naturel de la population » 50, ce qui explique en grande partie les « mouvements généraux des salaires […] exclusivement réglés par l’expansion et la contraction de l’armée industrielle de réserve » 51, qui sont liés « aux alternances périodiques du cycle industriel » 52. Cependant, pour diverses raisons qui ne seront pas examinées ici (certaines étant liées à l’application internationale de la loi de la valeur déjà mentionnée), la production de population surnuméraire relative ne se produit pas nécessairement là où le développement capitaliste est le plus avancé, mais plutôt là où son déploiement endogène est le plus entravé. D’où le problème de la relocalisation des travailleurs effectifs ou potentiels d’une zone à l’autre, que les États abordent directement ou indirectement. Or, dans la même mesure où l’augmentation de la population surnuméraire relative dans les premiers a un effet dépressif sur les salaires locaux, sa diminution dans les seconds pousse les salaires à la hausse, affaiblissant encore la formation de capital indigène ou son importation. Les sous-ensembles économiques les plus développés ont intérêt à drainer la force de travail des sous-ensembles économiques moins développés, tandis que ces derniers ont intérêt à la retenir localement. Chaque État doit prendre en charge ces intérêts, dans une relation duale avec des agents extérieurs (d’autres États, mais pas exclusivement) et avec la pression antagoniste de la main-d’œuvre locale.
Conclusion : vers une théorie du système interétatique
Dans cet article, nous avons tenté de résumer l’approche marxienne de l’État en général et les problèmes qu’elle pose du point de vue d’une théorie marxiste du système interétatique. Pour l’essentiel, une telle théorie reste à faire. Pour l’instant, nous avons avancé quelques hypothèses de travail en cherchant dans le texte marxien des solutions aux problèmes que nous y avons trouvés. Cela ne peut être qu’un début, et l’éventail des questions théoriques à aborder est énorme. Parmi celles-ci, nous aimerions mentionner la question des nationalités, celle de l’impérialisme dans ses formes contemporaines et, plus important encore, celle de l’effondrement de l’ordre international (dans le passé et dans le futur). Ces questions ont été occultées pendant un certain temps, mais elles reviennent aujourd’hui avec force, parfois même sous des formes inédites. Ce texte doit donc également être lu comme un appel à l’élaboration collective. Ce n’est que par un débat à plusieurs voix sur ces questions que leur traitement théorique pourra être renouvelé et mis en pratique. La « vieille taupe » n’a pas fini de creuser.
Notes
- Lenine 1964: 401.
- Mearsheimer 2018: 20-21.
- Brenner 2006: 84.
- Pour une critique de la séparation/opposition entre l’historicisme et le structuralisme, voir Schmidt 1981.
- Lukács 1972: 159.
- Dans notre discussion, nous nous limitons presque exclusivement à ces ouvrages, à savoir Le Capital, les Grundrisse et Une contribution à la critique de l’économie politique.
- Tran-Hai-Hac 2015: 48-49.
- Grossmann 1977: 85-89
- « La guerre atteint son plein développement avant la paix ; comment certains phénomènes économiques, tels que le travail salarié, les machines, etc., se développent plus tôt à travers la guerre et dans les armées que dans la société bourgeoise. Le lien entre la force productive et les relations commerciales est particulièrement évident dans le cas de l’armée. » (Marx 2000 : 393).
- Marx 1982: 871.
- Marx 1982: 931-940.
- Marx 1982: 899.
- Marx 1982: 556.
- Marx 1982: 899.
- Marx 1982: 916.
- Dans l’agriculture capitaliste, si la propriété et la possession de la terre ne coïncident pas, cette dernière revient à l’agriculteur capitaliste, qui verse au propriétaire foncier une partie de la plus-value sous forme de rente foncière.
- Marx 1982: 899.
- Marx 1982: 899.
- Marx 1982: 375-410.
- Marx 1982: 610-635.
- Marx 1992: 177.
- Marx 1992: 310-311.
- Tran-Hai-Hac 2003, Volume I: 126-132.
- Marx 1992: 192.
- Karl Marx 1968: 430-431.
- Karl Marx 1968: 431.
- Néanmoins, Marx accorde une grande importance à la dette publique, précisément en relation avec le thème de l’accumulation primitive : « Avec la dette nationale s’est développé un système de crédit international, qui dissimule souvent l’une des sources de l’accumulation primitive dans tel ou tel peuple. » (Marx 1982 : 920). La question de la dette publique est encore plus pertinente aujourd’hui, en tant que source de capital fictif.
- Marx 1973: 408.
- Voir aussi la théorie du commerce extérieur dans Le Capital, tome III, section 3, ch. 14 (Marx 1991 : 344-347). Cette théorie serait totalement dépourvue de sens si les différents degrés de développement économique, dont Marx tire d’importantes implications pour le fonctionnement de la loi de la valeur à l’échelle internationale, n’étaient pas coagulés au sein de périmètres politico-administratifs distincts.
- Von Braunmühl 1978: 161.
- « Vis-à-vis de cette totalité, les partitions historiques, les divisions, le rassemblement politique des capitales dans l’État-nation bourgeois, les appareils étatiques nationaux et leurs activités doivent être déterminés analytiquement comme le particulier. Le marché mondial doit être relié en tant que sphère propre de la circulation du capital aux sphères nationales de circulation en tant que particularisations et définies par cette relation. » (Von Braunmühl 1978 : 164).
- « Il semble que la bonne procédure consiste à commencer par le réel et le concret, les conditions préalables réelles ; dans le cas de l’économie politique, à commencer par la population, qui est la base et l’auteur de toute l’activité productive de la société. Pourtant, à y regarder de plus près, cela s’avère faux. La population est une abstraction, si l’on fait abstraction, par exemple, des classes qui la composent. Ces classes, encore une fois, ne sont qu’un mot vide de sens si l’on ne connaît pas les éléments sur lesquels elles reposent, tels que le travail salarié, le capital, etc. […] Les économistes du XVIIe siècle, par exemple, partaient toujours de l’agrégat vivant : population, nation, État, plusieurs États, etc., mais ils arrivaient invariablement, au terme de leur analyse, à certains grands principes généraux abstraits tels que la division du travail, la monnaie, la valeur, etc. Dès que ces éléments distincts ont été plus ou moins établis par un raisonnement abstrait, sont apparus les systèmes d’économie politique qui partent de conceptions simples telles que le travail, la division du travail, la demande, la valeur d’échange, et aboutissent à l’État, aux échanges internationaux et au marché mondial. Ce dernier est manifestement la méthode scientifiquement correcte. » (Marx 2000 : 386 ; c’est nous qui soulignons).
- Marx 2000: 392.
- Marx 1982: 279.
- Marx 1973: 886.
- Lefebvre 1991: 306-308.
- Marx 1991: 254-301.
- Marx 2000: 295-296.
- Voir Gramsci 1971: 159-160.
- Marx 1982: 915-916.
- Marx 1982: 921-922.
- Marx 1982: 932.
- Marx 1982: 706.
- Marx 1982 : 912, note de bas de page 7.
- Marx 1991: 344-345.
- Marx 1982: 579.
- Marx 1982: 579-580.
- Marx 1982: 781.
- Marx 1982: 783-784.
- Marx 1982: 788.
- Marx 1982: 790.
- Marx 1982: 790
Références
- Brenner, Robert. 2006. What is, and what is not, imperialism. Historical Materialism 14, 4: 79-105.
- Gramsci, Antonio. 1971. Selections from the Prison Notebooks, New York: International Publishers.
- Grossmann, Henryk. 1977. Marx, Classical Political Economy and the Problem of Dynamics (Part II). Capital and Class 1, 3: 67-99.
- Lenin, Vladimir I. 1964. War and Revolution. In Collected Works, Vol. 24 (april-june 1917), Moscow, Progress Publishers: 398-421.
- Lefebvre, Henri. 1991. The Production of Space, Oxford: Blackwell.
- Lukács, Georg. 1972. History and Class Consciousness, Cambridge MA, The MIT Press.
- Marx, Karl. 1982. Capital, Volume 1, London: Penguin Books.
- Marx, Karl. 1992. Capital, Volume 2, London: Penguin Books.
- Marx, Karl. 1991. Capital, Volume 3, London: Penguin Books.
- Marx, Karl. 1998. The German Ideology, Amherst NY, Prometheus Books.
- Marx, Karl. 1973. Grundrisse: Foundations of the Critique of Political Economy, New York, Random House.
- Marx, Karl. 2000. Selected Writings, Oxford: Oxford University Press.
- Marx, Karl. 1968. The Original Text of the Second and the Beginning of the Third Chapter of A Contribution to the Critique of Political Economy (the Urtext). Marx, Karl and Frederick Engels, Collected Works. Vol. 29. New York, International Publishers: 430–507.
- Mearsheimer, John J. 2018, The Great Delusion, London, Yale University Press.
- Schmidt, Alfred. 1981. History and Structure, Cambridge MA, The MIT Press.
- Tran-Hai-Hac. 2015. “État et capital dans l’exposé du Capital”, Aa. Vv. Nature et forme de l’État capitaliste, Paris, Syllepse: 47-83.
- Tran-Hai-Hac. 2003. Relire le Capital, 2 Vol., Lausanne, Page deux.
- Von Braunmühl, Claudia. 1978. On the Analysis of the Bourgeois Nation State within the World Market Context. An Attempt to Develop a Methodological and Theoretical Approach. In John Holloway, Sol Piciotto (dir.), State and Capital. A Marxist Debate, London, Edward Arnold: 160-177.
Les derniers commentaires