Le pillage des terres arables dans le monde
Dossier en 5 volets, publié la semaine dernière dans Le Monde
Les terres agricoles, de plus en plus convoitées
Pas un jour sans que de nouveaux hectares ne soient cédés. Les petites annonces de terres agricoles à vendre passent maintenant dans la presse financière internationale. Et les clients ne manquent pas. “Fin 2008, constate Jean-Yves Carfantan, auteur du Choc alimentaire mondial, ce qui nous attend demain (Albin Michel, 2009), cinq pays se distinguaient par l’importance de leurs acquisitions de terres arables à l’étranger : la Chine, la Corée du Sud, les Emirats arabes unis, le Japon et l’Arabie saoudite. Ensemble, ils disposent aujourd’hui de plus de 7,6 millions d’hectares à cultiver hors territoire national, soit l’équivalent de 5,6 fois la surface agricole utile de la Belgique.” Le phénomène d’accaparement des terres n’est certes pas nouveau, remontant aux premières colonisations. Mais, de l’avis de nombreux observateurs, économistes et ONG, il s’accélère[print_link]
La flambée des cours des matières agricoles de 2007 et 2008, à l’instar de ce qui s’était passé lors de celle des années 1970, a décidé beaucoup d’investisseurs privés à se tourner vers le foncier. La chute des prix ne les a pas fait fuir. Comme le note Grain – une ONG internationale qui cherche à promouvoir la biodiversité agricole -, dans un rapport publié en octobre 2008 et intitulé “Main basse sur les terres agricoles”, “avec la débâcle financière actuelle, toutes sortes d’acteurs de la finance et de l’agroalimentaire – fonds de retraite, fonds spéculatifs, etc. – ont abandonné les marchés dérivés, et considèrent que les terres agricoles sont devenues un nouvel actif stratégique”.
Ils ne sont pas les seuls. De nombreux Etats font la même analyse, pas pour trouver des sources de plus-values, mais pour des raisons de sécurité alimentaire. “Le but est clairement de parer aux conséquences d’une stagnation de leur production intérieure provoquée, entre autres, par une urbanisation galopante et la diminution des ressources en eau”, explique M. Carfantan. Les terres arables se font de plus en plus rares au Proche-Orient, par exemple. Les monarchies pétrolières investissent donc depuis trois ans dans la création d’annexes extraterritoriales. Le Qatar dispose de terres en Indonésie ; Bahreïn aux Philippines ; le Koweït en Birmanie, etc.
“DÉLOCALISATION AGRICOLE”
Rien d’étonnant à ce que le gouvernement chinois ait, de son côté, fait de la politique d’acquisition de terres agricoles à l’étranger l’une de ses priorités : le pays représente 40 % de la population active agricole mondiale mais ne possède que 9 % des terres arables du globe, rappelle M. Carfantan. Quant au Japon et à la Corée du Sud, ils importent déjà 60 % de leur alimentation de l’étranger.
La prospection des responsables politiques des pays du Sud s’intensifie. Fin 2008, Mouammar Kadhafi, le chef de l’Etat libyen, est venu en Ukraine pour proposer d’échanger du pétrole et du gaz contre des terres fertiles (en location). L’affaire serait en passe d’être conclue. Jeudi 16 avril, c’est une délégation jordanienne qui se rendra au Soudan pour renforcer un peu plus sa présence agricole initiée depuis dix ans déjà. Mais le mouvement concerne aussi l’Europe. Selon l’hebdomadaire La France agricole, 15 % de la surface totale de la Roumanie, soit plus de 15 millions d’hectares, seraient entre les mains de propriétaires originaires d’autres pays européens.
Cette stratégie de “délocalisation agricole” n’est pas sans conséquences. Quid des populations locales directement menacées par cette marchandisation de la terre dont elles vivent ? La planète compte aujourd’hui 2,8 milliards de paysans (sur une population totale de 6,7 milliards d’habitants) et les trois quarts des gens qui ont faim habitent dans les campagnes. Les cadastres sont souvent inexistants. Comment se fait et se fera l’indemnisation de ceux qui exploitent et vivent de la terre s’ils n’ont pas de titres de propriété ?
“Les organisations de producteurs nous alertent de plus en plus sur la question de la concentration du foncier et sur les conflits entre les petits paysans et l’agrobusiness qui exploite pour exporter”, explique Benjamin Peyrot des Gachons, de l’ONG Peuples solidaires qui a choisi d’organiser un Forum international sur l’accès à la terre (à Montreuil, les 18 et 19 avril) pour célébrer la Journée mondiale des luttes paysannes du 17 avril. Des agriculteurs d’Inde, d’Equateur, du Brésil, du Burkina Faso et des Philippines viendront témoigner.
L’ONG milite pour le développement du droit d’usage – les terres restant à l’Etat -, et non pour celui du droit de propriété, qui a la faveur de la Banque mondiale. Si l’attribution de titres de propriété peut permettre de faire coexister agriculture familiale et présence d’investisseurs étrangers, Peuples solidaires “estime que les paysans n’auront pas les moyens d’acquérir des terres”. Et même si on leur en attribue, “ils seront vite contraints à vendre en cas de difficultés”. Selon l’ONG, le droit de propriété privilégierait donc les gros exploitants, étrangers ou non.
Autre difficulté provoquée par cette course aux terres arables : la cohabitation entre pays investisseurs et la population locale. “Regardez ce qui s’est passé à Madagascar après l’annonce de la location de 1,3 million d’hectares au groupe sud-coréen Daewoo, reprend M. Carfantan. Ce fut l’explosion. Je crois que les tensions seront inévitables où que ce soit, faisant des enclaves agricoles étrangères de véritables forteresses assiégées.” A moins, analyse-t-il, que partage des récoltes et transfert de technologies soient organisés, afin de tabler sur le long terme.
Au Mali, les nouvelles mises en culture bénéficient surtout aux investisseurs libyens
Ils ont des mines inquiètes. Ce matin-là, à Niono, dans le centre du Mali, des petits producteurs de riz sont réunis au siège de leur syndicat, le Sexagon. En bout de table, Lamine Fané se lance : “La politique du gouvernement est tournée vers les investisseurs étrangers. Mais nous, qu’allons-nous devenir ?” Il enchaîne : “Si on installe de grands opérateurs privés, le réseau d’eau pourra-t-il satisfaire tout le monde ?” Dans les exemples qu’il a en tête, les étrangers se portent candidats pour exploiter des milliers d’hectares, quand les paysans en cultivent trois en moyenne dans cette zone de l’Office du Niger
Lors de la création de l’établissement public par les colons français dans les années 1930, le potentiel de la zone était estimé à 1 million d’hectares. Aujourd’hui, 80 000 seulement sont cultivés. Le gouvernement a confié à l’office la mission d’en faire exploiter 120 000 de plus d’ici à 2020. Ici, il y a de quoi rendre autosuffisant le Mali en riz, voire d’en faire une puissance exportatrice, un atout en période de crise alimentaire. Mais faute de moyens, l’Etat compte sur les capitaux étrangers pour mettre des terres en culture, et construire des routes et des canaux d’irrigation.
Les paysans ont fait l’addition : parmi les projets d’extension, ceux portés par les étrangers concernent 360 000 hectares, contre 9 000 pour ceux des petits paysans. Leur inquiétude est en outre alimentée par le gigantisme des dossiers et la crainte des expulsions. Ils citent des aménagements sur 14 000 hectares financés par le gouvernement américain en coopération avec le Mali, sous le nom de Millennium Challenge Account. Une partie des terres nouvellement irriguées sera distribuée aux autochtones. Mais le reste ?
L’octroi de 100 000 hectares à la société Malibya, liée à la famille du dirigeant libyen, le colonel Mouammar Kadhafi, fait grand bruit. “Les hectares des Libyens sont au début des canaux d’irrigation, ils seront servis en eau avant nous”, regrette un paysan. “Même s’ils disent opérer dans le cadre de la coopération, nous ne comprenons pas bien quels sont les intérêts derrière tout cela”, résume Mamadou Goïta, de l’ONG malienne Afrique verte.
Les producteurs redoutent aussi les intentions des Chinois de développer la canne à sucre, gourmande en eau. Ils en cultivent déjà 6 000 hectares et contrôlent la sucrerie Sukala.
Ce n’est pas l’inquiétude qui règne à l’Office du Niger, mais l’optimisme. Tous ces projets sont qualifiés par Seydou Traoré, le PDG, de “précurseurs”. Le style colonial du siège, à Ségou, en impose, tout comme lui. “Tous les partenaires qui le souhaitent doivent nous aider”, dit-il. Les aménagements ne se feront pas du jour au lendemain. Les Libyens, auxquels des baux de trente ans renouvelables ont été octroyés, commencent par 25 000 hectares. Seydou Traoré rallonge la liste dressée par les producteurs : un projet de culture de canne à sucre d’un groupe à capitaux américains et sud-africains, pour 15 000 hectares. Et 11 000 autres attribués à l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA), où seront installés des ressortissants des huit pays membres.
“Je suppose que tous ceux qui viennent chercher des terres veulent exporter, mais nous pensons qu’il en reviendra un peu pour le Mali”, lâche M. Traoré. Tout juste ajoute-t-il qu’il faut s’assurer que les paysans ne deviendront pas des ouvriers agricoles. Il réclame aussi des écoles ou des dispensaires.
Le PDG est conscient que le partage de l’eau s’annonce difficile. Des dents grincent déjà. A vingt minutes de piste de Niono, de rares parcelles de riz de “contre-saison” – l’éventuelle deuxième récolte de l’année – verdissent le paysage. Pour la première fois, la redevance à acquitter auprès de l’Office pour utiliser ses canaux d’irrigation est la même que pour la récolte principale, contre 10 % du montant auparavant.
“C’est parce qu’ils veulent garder l’eau pour la culture de la canne à sucre des Chinois et des Américains”, suppose Faliry Boly, du Sexagon. Son syndicat s’interroge sur l’attitude future du gouvernement. Le 10 avril, un remaniement ministériel a été annoncé. L’Office du Niger va devenir un secrétariat d’Etat rattaché au premier ministre et basé à Bamako, la capitale. Faut-il s’en inquiéter ?
Pour l’heure, les paysans espèrent que leur sort sera pris en compte. Ils voudraient, eux aussi, profiter de l’engouement qu’a suscité la flambée des cours. De plus en plus, ils se regroupent en coopératives pour vendre à meilleur prix. Ils ont applaudi l'”Initiative riz”, lancée par le gouvernement en 2008, qui a subventionné les engrais à hauteur de 50 %. Mais ceux-ci ne sont pas arrivés à temps.
En amont du fleuve, à Tongorongo, village situé hors de la zone de l’Office, on a pu en revanche en profiter. Alors l’espoir renaît. Allassan Maïga, qui suit la production de 33 villages, fait le compte : “Nous avons 3 500 hectares et nous n’en cultivions que 2 300. Nous sommes passés à 2 600 en 2008 et ce sera 3 050 en 2009.”
Amadou Moussa Tanapo a bénéficié en plus d’herbicides apportés par une fondation française, Farm. Il a pu cultiver cinq hectares au lieu de deux. “Je n’avais jamais assez de riz pour nourrir ma famille. Cette année, cela devrait suffire”, dit-il. Il pourra même peut-être en vendre. Dans ces villages où les paysans sourient, on n’entend pas, pour l’heure, parler d’investissements étrangers.
Face à la montée des eaux, les Maldives cherchent des terres d’accueilMalé est comme un lourd plateau urbain posé à fleur d’océan Indien. Les vagues viennent mourir en gerbes d’écume sur la ceinture de blocs de béton qui entoure cette île d’à peine deux kilomètres carrés. Soixante-dix mille personnes s’y entassent. Pour l’heure, cette barrière artificielle tient bon. Elle a réussi à protéger la capitale de ce singulier Etat des Maldives, archipel aux vingt-six atolls et aux 1 200 îles dont les écrins de corail occupent une place de choix dans les catalogues du tourisme mondial. Mais pour combien de temps encore ?
“Ne soyons pas naïfs et préparons-nous au scénario du pire”, avertit Mohammed Aslam, le ministre de l’environnement. Le pire, c’est l’engloutissement à venir de l’archipel sous l’effet de la montée des eaux provoquée par le réchauffement climatique. Cette angoisse taraude les dirigeants maldiviens depuis que certaines études, en particulier les travaux du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), ont commencé à tirer la sonnette d’alarme.
“C’est pour nous une question de survie”, précise Amjad Abdullah, le directeur général du ministère. Le nouveau président des Maldives, Mohamed Anni Nasheed, élu en octobre 2008, a annoncé, au lendemain de son investiture, la création d’un fonds souverain destiné à acheter des terres dans les Etats voisins. Cette annonce a deux objectifs : sensibiliser la communauté internationale et, surtout, trouver une terre d’accueil pour les réfugiés climatiques que risquent de devenir un jour les Maldiviens. L’idée a soulevé un certain scepticisme au regard de l’imbroglio juridique que constitueraient de telles acquisitions foncières sur un sol étranger.
Voilà plus de deux décennies que l’archipel vit au rythme d’inquiétants phénomènes “exceptionnels”. Il y eut d’abord le raz-de-marée de 1987, qui inonda une partie de Malé et causa un choc profond dans la population. Puis le phénomène climatique El Niño, qui provoqua, en 1998, un blanchissement massif des coraux : 90 % de ceux situés à moins de 15 mètres de profondeur périrent. Enfin, le tsunami de décembre 2004 frappa sévèrement l’archipel, détruisant deux îles, imposant l’évacuation de six autres, et le déplacement de près de 4 000 personnes (sur 280 000 habitants).
ANGOISSE EXISTENTIELLE
“Les événements extrêmes tendent à provoquer de plus en plus de dégâts“, constate Shiham Adam, directeur du Centre de recherche sur la mer de Malé. La fragilité de l’archipel tient à sa configuration : pour 80 %, sa surface terrestre est située à moins d’un mètre au-dessus du niveau de la mer. Si les prédictions des experts du GIEC se révèlent exactes, une partie des atolls maldiviens n’y résistera pas.
La menace est accrue par une autre particularité des Maldives : l’exiguïté des îlots, dont 96 % ont une superficie inférieure à un kilomètre carré. Résultat : 47 % de l’habitat est localisé à moins de 100 mètres de la côte, soit à proximité de la “ligne de front”. “Nous n’avons aucun hinterland : en cas de crise, grimper aux cocotiers est notre seul recours”, ironise Ahmed Abdullah Saeed, rédacteur en chef du groupe de presse Haveeru.
Des solutions à court terme existent : gagner de la terre sur la mer, par exemple. La faible profondeur des lagons permet l’extension des îlots existants, voire la création de nouvelles îles. L’industrie touristique, qui attire 600 000 visiteurs par an, ne s’en prive pas. Mais les moyens utilisés – construction de jetées en béton, extraction de sable, brèches ouvertes à l’explosif dans le récif corallien, etc. – bouleversent un écosystème déjà fragile. Ajoutés à la hausse de la température des eaux, ils accélèrent l’érosion des plages en endommageant les coraux, ces “usines” à produire du sable.
“Le problème du réchauffement climatique, ce n’est pas tant la montée des eaux que la mort des coraux”, estime Thomas Leber, un expert d’un bureau d’études environnementales. Car l’acidification des océans provoquée par les émissions de gaz à effet de serre est fatale à ces organismes, déjà fragilisés par certaines pratiques de pêche, comme les captures massives de mérous, espèce qui joue un rôle capital dans l’équilibre du récif corallien. Shiham Adam, le directeur du Centre de recherche sur la mer, rappelle l’évidence : “S’il n’y a plus de coraux, il n’y a plus d’îles.” On comprend mieux l’angoisse existentielle qui saisit progressivement l’archipel.
L’Arabie saoudite vise une autosuffisance alimentaire délocalisée
Il fut un temps où le royaume saoudien, en dépit de conditions naturelles défavorables, avait fait de l’autosuffisance alimentaire une cause nationale. En l’espace de trois décennies, entre 1971 et 2000, grâce à une politique d’irrigation soutenue par les fonds publics, la surface agricole utile était ainsi passée de 0,4 à 1,6 million d’hectares, les terres cultivables étant concentrées dans les provinces du Haïl et du Qassim, au nord de Riyad, et dans celles du Sud-Ouest, Jizan et Najran.
Cette politique ne fut pas sans succès : selon l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), en 1995, la production de blé (2,5 millions de tonnes) dépassait largement la consommation intérieure (1,8 million de tonnes). “Le royaume était exportateur en blé, mais avec un coût de production quatre fois supérieur aux cours mondiaux”, dit Zaher al-Mounajjed, un consultant.
Le gouffre financier creusé par ces pratiques agricoles et les dégâts entraînés par le pompage des nappes phréatiques fossiles du pays ont conduit à une remise en question de ce modèle. La crise alimentaire du printemps 2008 lui a porté un coup fatal.
“Dans un contexte de tensions sur les marchés des matières premières, les stocks stratégiques constitués à cette période par l’Iran et les achats spéculatifs ont entraîné une flambée des prix qui a touché l’aliment de base en Arabie saoudite : le riz”, explique un expert européen de l’économie saoudienne.
Les conséquences sociales de cette hausse, malgré la politique de subventions en vigueur pour les aliments de base, ont conduit les autorités à réfléchir à une autre formule pour assurer la sécurité alimentaire du pays le plus peuplé de la péninsule (25 millions d’habitants). Parallèlement à la hausse des subventions pour le riz, à partir de décembre 2007, l’Arabie a choisi de renoncer à certaines productions agricoles, à commencer par le blé. En janvier 2008, le gouvernement a décidé de baisser de 12,5 % la production nationale. D’ici la fin de l’année 2015, le royaume dépendra entièrement des importations pour cette céréale.
PROSPECTIONS AU SOUDAN
Mais le pays n’a pas renoncé pour autant à son vieux rêve : les achats de terres à l’étranger s’inscrivent en droite ligne dans la recherche d’une autosuffisance désormais délocalisée. Cette volonté s’est traduite, en 2008, par l’initiative du roi Abdallah pour les investissements saoudiens à l’étranger. Les autorités ont décidé d’épauler financièrement et politiquement les entrepreneurs privés intéressés. Un fonds de 600 millions de dollars (458 millions d’euros) a été constitué et porté, en avril, à 800 millions (611 millions d’euros). Il pourrait encore grossir.
Les groupes agroalimentaires saoudiens ont commencé leurs prospections sous l’égide des ministères du commerce et de l’agriculture. Certains se sont tournés vers l’Afrique, compte tenu de sa proximité avec le royaume. C’est notamment le cas d’une entreprise du Haïl, Hadco, qui, après avoir arrêté la production de blé, loue des milliers d’hectares au Soudan (son objectif est d’en cultiver 40 000). Cette société est aussi à la recherche d’opportunités en Turquie.
Le groupe Ben Laden, spécialisé dans les travaux publics, s’est engagé en Asie à la tête d’un consortium, espérant, à terme, gérer 500 000 hectares de rizières en Indonésie, dans le cadre d’un projet agricole de 1,6 million d’hectares comprenant la production d’agrocarburant. “C’est une diversification habile, car elle permet de jouer sur l’image de l’intérêt général”, estime l’expert européen.
En janvier, le premier riz “saoudien” produit à l’étranger a été présenté au roi Abdallah. Le consommateur saoudien ne goûte pas la différence. En dépit du renversement de conjoncture, il continue à payer son alimentation à un prix élevé, correspondant au niveau en vigueur pour les achats massifs effectués en 2008 afin de prévenir toute crise alimentaire.
Après une offensive discrète au Kazakhstan, la Chine lorgne les terres russes inexploitéesL’affaire avait soulevé une polémique dès 2003 : l’annonce, par le quotidien China Daily, de la location par la Chine de terres arables au Kazakhstan voisin avait d’abord obligé les autorités kazakhes à démentir l’information. Un tel projet a pourtant bel et bien été lancé : plus de 7 000 hectares de terres ont été attribués à une société mixte sino-kazakhe, et plus de 3 000 paysans chinois ont pris la route de la région d’Alakol, à la frontière chinoise, pour exploiter des champs de soja et de blé.
Mais devant le malaise suscité par cette location – sur dix ans – d’une parcelle du territoire national, le gouvernement kazakh a toujours préféré faire preuve de discrétion à ce sujet. Le pays ne reconnaît que cinq endroits utilisés par des puissances étrangères sur son sol : il s’agit de zones militaires “prêtées” à la Russie depuis l’effondrement de l’Union soviétique, à l’instar de la base spatiale de Baïkonour.
Officiellement, les terres arables louées à la Chine n’existent donc pas. C’est que les autorités kazakhes craignent la réaction de la population rurale devant la “concurrence déloyale” représentée par l’arrivée en masse de paysans chinois, dont l’équipement agricole est supérieur au vieux matériel soviétique encore utilisé sur la plupart des exploitations kazakhes.
Pour la Chine, qui souffre d’une pénurie de terres cultivables, l’attrait de ces régions d’Asie centrale est évident. Dans la région chinoise d’Ili, située de l’autre côté de la frontière kazakhe, 1,7 million de paysans se disputent quelque 267 000 hectares de terres.
Selon les estimations du ministère chinois de l’agriculture, le pays produira, en 2015, environ 20 millions de tonnes de soja, soit seulement 40 % de ses besoins annuels. Du coup, Pékin s’intéresse non seulement aux plaines d’Asie centrale, mais également aux terres vierges du grand voisin russe.
ELDORADO AGRICOLE
Au début des années 2000, c’était essentiellement le secteur de la sylviculture qui attirait les exploitants chinois. Mais un raidissement de la législation russe avait alors fait capoter les projets développés par des sociétés mixtes russo-chinoises créées pour l’occasion.
Désormais, le soja est l’activité la plus porteuse, notamment dans l’Extrême-Orient russe, dans les provinces de Khabarovsk et la région autonome du Birobidjan, situées à 6 000 km de Moscou mais à 2 000 km seulement de Pékin. Pour les onze premiers mois de 2008, plus de 420 000 tonnes de soja ont été ainsi exportées vers la Chine.
Pour celle-ci, la Russie fait figure d’eldorado agricole : selon les estimations des experts russes, plus de 20 millions d’hectares de terres arables n’y sont pas exploités, et les prix y sont inférieurs à ceux pratiqués en Chine. Les terres proposées à la location sont de bonne qualité, avec un rendement estimé à 3 000 kg de soja par an et par hectare, soit deux fois plus que dans les exploitations chinoises.
Avec une telle quantité de terres exploitables et les besoins immenses de la Chine, la ruée vers les terres russes pourrait s’amplifier. Pour le moment, les autorités russes voient plutôt d’un bon oeil l’exploitation de ces terres auparavant inoccupées, qui leur permettra de prélever une taxe sur l’exportation des produits agricoles.
Mais l’arrivée massive de paysans chinois pourrait aussi engendrer des tensions avec la population locale, d’autant que la crise économique sévère que traverse le pays risque d’alimenter des réactions xénophobes.
Selon le dernier recensement russe, quelque 35 000 Chinois vivraient en permanence dans le pays. Mais, de l’aveu même du ministère de l’intérieur, entre 400 000 et 700 000 Chinois seraient, en réalité, installés sur le territoire russe.
Dossier publié en 5 volet dans Le Monde
ça va devenir très très chaud sur la planète bleue. Explosif même…
les financiers ne tiendront pas le choc…