Les tensions dans les usines chinoises accentuées par la faiblesse des syndicats
Le Parti communiste tire la sonnette d’alarme : face à la montée des conflits dans les usines, les syndicats doivent jouer pleinement leur rôle dans la défense des travailleurs. Les laissera-t-il pour autant s’émanciper ?
Les grandes usines chinoises sont acculées à faire des efforts face à la montée des tensions sociales. Après une grève durant depuis le 17 mai dans son usine de pièces détachées gérée en propre de Foshan – qui avait conduit à la fermeture temporaire de ses trois autres usines en co-entreprise avec des entreprises d’état – Honda a proposé à ses employés une hausse de 24% du salaire de base.[print_link]
De son côté, le premier sous-traitant en électronique mondial, Foxconn, qui travaille pour Apple et Nokia entre autres, a annoncé une hausse des salaires d’environ 20% pour 200 000 employés de ses usines de Shenzhen. Le groupe taiwanais Hon Hai, qui détient Foxconn, a démenti que la hausse soit liée aux dix suicides enregistrés depuis le début de l’année sur le site de l’usine dortoir de Longhuan et précise qu’elle était prévue de longue date, au constat de la reprise économique.
“Un certain niveau de tensions sociales”
Le China Labour Bulletin, créé à Hong Kong par le fondateur du premier syndicat indépendant chinois et revenant de Tiananmen Han Dongfang, relativise l’élan de générosité de la direction de Foxconn. “Le gouvernement de Shenzhen s’était précédemment engagé à une augmentation “d’au moins 10%” du salaire minimum cette année, et suite à une hausse moyenne de 20% dans la province du Guangdong le 1er mai de cette année, le niveau réel sera probablement le même que celui offert par Foxconn”, relève l’organisation non-gouvernementale suite à cette annonce. En clair, Foxconn ne fait qu’anticiper une hausse qu’il se serait de toute façon vu imposer par la municipalité.
Les débrayages dans les usines de Honda et les suicides dans celles de Foxconn amènent la Chine à s’interroger sur l’envers de sa réussite économique. Suite à une série d’attaques dans des écoles, le premier ministre Wen Jiabao a déjà reconnu en mai que le pays est soumis à un “certain niveau de tensions sociales” malgré son insolente croissance.
Un haut responsable de la Fédération des syndicats chinois relevait récemment que la part du produit intérieur brut chinois consacrée aux salaires avait connu un pic à 56,3% en 1983 pour décliner jusqu’à 36,7% en 2005. “La proportion n’a pas trop changé depuis” constatait-il. Un quart des adhérents au plus grand “syndicat” du monde disent ne pas avoir été augmentés au cours des cinq dernières années. Même si leurs conditions de vie se sont sensiblement améliorées au cours de trois décennies d’ouverture, les ouvriers de l’atelier du monde ont le sentiment de ne pas profiter du miracle économique autant qu’ils n’y contribuent.
Des violences entre le syndicat et les ouvriers chez Honda
Dans l’usine Honda de Foshan, toujours dans l’industrieuse province du Guangdong, a repris mercredi, la plupart des travailleurs ayant accepté une augmentation de 24% du salaire de base, a annoncé mardi la direction. Les employés ont également obtenu la promesse d’excuses de la part du syndicat : des violences s’étaient déroulées la veille sur le site, opposant travailleurs en grève et représentants de l’Union des travailleurs. Une situation paradoxale, illustrant les contradictions du système syndical chinois. La Fédération générale des syndicats de travailleurs de Chine revendique 212 millions de membres mais elle est un produit de l’appareil d’Etat.
Dans une étude sur les syndicats en Chine, David Metcalf, professeur de relations industrielles à la London school of economics, relève que les syndicats chinois comptent de nombreux membres mais sont dans la pratique impuissants lorsqu’il s’agit de représenter les travailleurs. “Les syndicats resteront insignifiants tant qu’ils se satisferont d’être une courroie de transmission communiquant les politiques gouvernementales aux travailleurs et faisant appliquer la discipline pour encourager ces politiques, plutôt que de représenter les travailleurs dans leurs relations avec les employeurs et le gouvernement” écrit le chercheur.
Craignant l’instabilité, les dirigeants politiques chinois suivent de près les conflits sociaux actuels. Dans un éditorial, le Quotidien du Peuple, organe de presse du Parti communiste, estime que “pour assurer un travail dans la dignité, les syndicats doivent jouer un plus grand rôle”. “Suite à une série de suicides dans une grande entreprise, l’opinion est très sensible sur la question de la vie des ouvriers, les syndicats ne peuvent plus rester silencieux, fuir leurs responsabilités. Alors que la Chine connaît des changements dans son économie, sa politique et sa société, les conflits sociaux se multiplient. Il faut résoudre ce problème à temps et assurer la stabilité sociale” lit-on.
Le souci de la stabilité n’est pas une nouveauté dans le Parti. Le président Hu Jintao a fait de “l’harmonie” le concept central de sa politique, une formule qui implique une intolérance absolue envers tout mouvement susceptible de concurrencer le Parti, particulièrement lorsqu’il est organisé. Dans ce contexte, l’appareil d’Etat lui-même s’est depuis longtemps opposé à la création de syndicats indépendants.
Défendre les ouvriers, mais toujours sous la tutelle du Parti
Le journal du Parti appelle à être plus réactif face à une situation nouvelle : les conflits du travail, longtemps cantonnés aux seules petites usines, apparaissent désormais dans de grandes entreprises étrangères, notent ses éditorialistes
Le Quotidien du Peuple prescrit un état des lieux. “Il faut aller voir dans quelles grandes entreprises privées il n’y a pas encore de syndicats. S’il n’y en a pas, pourquoi ? S’il y en a, fonctionne-t-il efficacement ? Lorsque les droits des ouvriers sont bafoués, le syndicat les défend-il ?”
Le Parti enjoint donc le syndicat général à mener l’enquête. Sous sa tutelle et celle de tous les départements du gouvernement.
Article mis à jour le 2 juin à 13h20 (Pékin)
le 2/6/2010 à 11h12 par Harold Thibault (Aujourd’hui la Chine)
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