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L’obsession de l’ultragauche


La question vient du fond de la salle. Doigt levé, le responsable de la sécurité d’une grande chaîne hôtelière demande si, “par rapport au petit groupe qui a cherché des noises à la SNCF”, les entreprises ont “matière à s’inquiéter”. Dans cet entre soi, où sont réunis, à Paris, ce 26 novembre, des patrons du CAC 40 membres du club des directeurs de la sécurité des entreprises (CDSE), on se parle en confiance. “Oui, il y a une crainte, répond à la tribune Gilles Gray, sous-directeur de la protection économique à la direction centrale du renseignement intérieur (DCRI) en évoquant “une philosophie qui se développe en Europe”.

Depuis des mois, la place Beauvau enquête sur “l’ultragauche” et a développé la thèse de l’émergence d’un “terrorisme idéologique”. Les interpellations de neuf jeunes gens à Tarnac (Corrèze) et Paris entrent dans cette logique. “C’est un message fort, poursuit M. Gray, adressé à ceux qui auraient des velléités de commettre des actions semblables”, à celles qui ont pris pour cible des caténaires de la SNCF. “Nous espérons que cette affaire a enrayé pour un temps ce type d’actions violentes, insiste le responsable policier et permettra d’éviter, précise-t-il, “le retour d’Action directe ou de la RAF allemande”.

Un “message” ? Le mot sonne étrangement rapporté à la gravité des accusations. Depuis le 11 novembre, date de leur interpellation, neuf jeunes gens de 22 à 34 ans ont été mis en examen pour association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste et cinq d’entre eux sont soupçonnés d’avoir commis des dégradations sur les voies ferroviaires “dans une perspective d’action terroriste”. Le procureur de Paris, Jean-Claude Marin, a évoqué un projet de “lutte armée”. Au grand dam des familles et des avocats qui dénoncent l’absence de preuves dans le dossier – en l’occurrence aucune arme n’a été trouvée.

Classées “secret-défense”, des notes du renseignement sont venues alimenter une ministre convaincue. En juin, la DCRI a remis à Michèle Alliot-Marie une étude de quarante pages intitulée : “Du conflit anti-CPE à la constitution d’un réseau préterroriste : regards sur l’ultragauche française et européenne”.

“ON S’ACCROCHE À LUI, ON LE SUIT”

Les comparaisons avec Action directe y abondent. Mais la ministre revendique elle-même avoir aiguillonné ses services vers “l’ultragauche”, en leur demandant, dès son installation place Beauvau en 2007, de “suivre ce phénomène”. Une préoccupation née “il y a quelques années, explique-t-elle au Monde, quand j’ai compris que le PCF s’effondrait et ne remontait pas. Cela a été renforcé chez moi par les manifestations anti-CPE”. Mme Alliot-Marie évoque aussi une radicalisation ressentie à l’issue de l’élection présidentielle de 2007. Et affirme avoir eu au début “l’impression d’un certain scepticisme” chez ses interlocuteurs. Un sentiment vite balayé aujourd’hui. “En 1917, ça a commencé comme ça !”, s’énerve un collaborateur, en faisant référence à la révolution russe, quand des interrogations sont émises.

A la fin de l’été 2007, lors de la réunion hebdomadaire de l’intérieur sur le terrorisme, Mme Alliot-Marie fait donc inscrire l’ultragauche aux côtés de l’islam radical, de l’ETA et de la Corse. A cette même période, le criminologue Alain Bauer pianote un matin, comme son habitude, sur le site internet de la Fnac et Amazon.com en quête des nouveautés en librairie lorsqu’il tombe par hasard sur L’insurrection qui vient (éd. la Fabrique). Le consultant en sécurité y voit la trace d’un “processus intellectuel qui ressemble extraordinairement aux origines d’Action directe” et, sans barguigner, achète d’un coup 40 exemplaires. Il en remettra un en mains propres au directeur général de la police nationale, Frédéric Péchenard, assorti d’une petite note. Rédigé par un “Comité invisible”, l’ouvrage est attribué par les policiers à Julien Coupat, qui fait figure de principal accusé dans l’affaire de Tarnac.

En novembre 2007, des premières interpellations ont lieu. A Toulouse, deux hommes et une femme d’une vingtaine d’années ont fait sauter un engin explosif dans un champ. A leur domicile, la police trouve L’insurrection qui vient. Puis viennent d’autres arrestations en banlieue parisienne, et à Bourges, d’autres jeunes, en possession de petits engins explosifs et d’une “documentation anarchiste”.

Dès lors, les consignes redoublent sur la surveillance des squats et des “modes opératoires” de la mouvance anarcho-autonome. Signalé par les autorités américaines pour avoir manifesté à New York devant un centre de recrutement de l’armée, Julien Coupat est désormais dans le collimateur des policiers français. “On s’accroche à lui, on le suit”, dit un responsable du renseignement. Le 16 avril 2008, une enquête préliminaire est ouverte à la section antiterroriste du parquet de Paris.

A l’intérieur du document de la DCRI, trois pages concernent le groupe Coupat. “Ils ont adopté la méthode de la clandestinité, assure Mme Alliot-Marie. Ils n’utilisent jamais de téléphones portables et résident dans des endroits où il est très difficile à la police de mener des inquisitions sans se faire repérer. Ils se sont arrangés pour avoir, dans le village de Tarnac, des relations amicales avec les gens qui pouvaient les prévenir de la présence d’étrangers.” Mais la ministre en convient : “Il n’y a pas de trace d’attentats contre des personnes.”

Isabelle Mandraud
Article paru dans l’édition du 04.12.08

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  1. A.D.
    06/12/2008 à 16:33 | #1

    Il faut lire le Canard enchaîné du mercredi 3 XII 08 article de Brigitte Rossigneux:”l’Ultra Droite injustement oubliée”.
    Deux poids, deux mesures, c’est vraiment typique( ça l’a toujours été). que l’on se souvienne du SAC barbouzes paramilitaires français dont C.Pasqua était chef ou sous-chef, des attentats en Italie à Milan et dans le train à Bologne si je me souviens bien, avec la complicité des services secrets italiens et CIA pour créer une escalade propre à la répression qui n’avait pas manqué de s’abattre sur les anarchistes dont un militant avait été balancé par la fenêtre d’un commissariat…

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