“Le risque, c’est que le LKP perde le contrôle du mouvement”
le LKP lance un appel au calme alors que les violences se multiplient
es actes violents – vandalisme, incendies de commerce et de véhicules – se multipliaient dans la nuit de mardi à mercredi en Guadeloupe, dont des affrontements entre des jeunes et la police, selon plusieurs sources, tandis que le collectif LKP a lancé “un appel au calme” sur la radio RCI en milieu de soirée. Outre Pointe-à-Pitre, les communes de Capesterre-Belle-Eau, Saint-François sont touchées, selon la préfecture, qui n’était pas en mesure de dresser un bilan provisoire des interventions.
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A Baie-Mahault, à 10 km de Pointe-à-Pitre, de violentes échauffourées ont opposé dès 19 heures, heure locale, une centaine de jeunes à des gendarmes mobiles, selon plusieurs sources. Selon le maire de la ville, Ary Chalus, une centaine de jeunes étaient présents dans la zone commerciale de Destrelland. Certains, munis de fusils à pompe, ont tiré à balles réelles en direction de la police, a-t-il également indiqué.
Trois policiers ont été légèrement blessés par arme à feu dans une cité de Pointe-à-Pitre. Trois escadrons étaient sur place, soit environ 200 hommes.
De son côté, le leader du LKP, Elie Domota, a lancé sur la radio RCI un appel au calme en ces termes, en créole : “Ne mettez pas votre vie en danger, ne mettez pas la vie des autres en danger.” “Ne répondez pas à la provocation”, a-t-il lancé aux jeunes, demandant dans le même temps au préfet de “retirer ses gendarmes”. Les échauffourées se poursuivaient toujours à 23 heures, heure locale, a indiqué le maire de Baie-Mahault.
– Ils habitent Gosier, Sainte-Anne ou Pointe-à-Pitre. Guadeloupéens ou “métros”, tous ont constaté une montée des tensions dans l’île. Bloqués chez eux au lendemain des affrontements, ils racontent leur quotidien depuis le début du mouvement.
Monique Mesplé-Lassale, 58 ans, est institutrice à Gosier, une petite commune touristique à 5 km de Pointe-à-Pitre. Lundi 16 février, des manifestants ont construit un barrage sur un pont situé à 100 m de chez elle. “Ils ont tronçonné d’énormes cocotiers et palétuviers pour bloquer la route. Quand les gendarmes sont arrivés vers 5 heures, survolés par des hélicoptères, j’ai entendu quelques tirs de sommation et des explosions de bombes lacrymogènes. Les jeunes ont caillassé des véhicules. J’avais l’impression d’être en Haïti.”
Originaire de métropole, Monique vit en Guadeloupe depuis onze ans. “C’est la première fois depuis le début de la grève qu’une telle violence se produit”, dit-elle. “J’ai discuté en créole avec les manifestants le lendemain. Ils m’ont dit qu’il n’y avait pas eu de blessés. Par contre certains auraient entendu des insultes comme “chiens” et “sales nègres”. Comme beaucoup de Guadeloupéens, Monique est excédée par “le silence de l’Etat”. “Nous sommes traités comme des sous-hommes et c’est ce qui risque de mettre le feu aux poudres”.
Mais malgré les violences, l’institutrice continue de soutenir le LKP. “Je ne pense pas qu’il souhaitait de tels débordements. Depuis le début, les syndicats ont mis en place un service d’ordre extraordinaire. Les tensions de la nuit dernière n’étaient pas le fait des manifestants. Il s’agissait de violences urbaines, perpétrés par des jeunes désœuvrés. Le risque aujourd’hui, c’est que le LKP perde le contrôle du mouvement.”
Patrick Picot, 56 ans, est maître de conférence à l’IUFM de Pointe-à-Pitre depuis 2001. Il habite à Sainte-Anne, un petit village touristique à une vingtaine de kilomètres de la capitale. “Quand je suis descendu ce matin, il y avait des barrages un peu partout et des poubelles incendiées. Je suis allé acheter de l’eau de Javel dans une épicerie. Tout le monde parlait des affrontements de la veille. Des dames pestaient en créole contre la casse des panneaux d’affichage : “Ça va trop loin. C’est des cochons”, disaient-elles.”
Certains collègues de Patrick à l’IUFM partagent cette lassitude. L’universitaire pense que les violences continueront jusqu’à la fin de la semaine. “Le fossé se creuse entre les Guadeloupéens et les “métros”. Derrière le LKP, certains portent des revendications ouvertement indépendantistes. Je pense qu’il s’agissait bien d’un mouvement populaire dans les quinze premiers jours, mais les tensions passionnelles l’emportent aujourd’hui. La population est exaspérée par les provocations d’Yves Jégo”.
Mais le pire est peut-être à venir. Patrick s’inquiète des conséquences économiques de la grève. “Pour l’instant, les lolos (petites épiceries de quartier) et les marchés de légumes fonctionnent très bien. Mais le chômage risque de grimper. Qu’ils soient Guadeloupéens ou “métros”, les petits artisans vont trinquer.”
Frantz Cognet, 44 ans, est installé depuis dix ans à Pointe-à-Pitre avec sa femme et ses deux filles. Peintre en bâtiment d’origine guadeloupéenne, il “a connu pire”, dit-il. “En 2002, à l’époque du conflit entre les salariés et la direction du groupe pétrolier américain Texaco, Pointe-à-Pitre était en état d’insurrection. L’UGTG (Union générale des travailleurs de la Guadeloupe) avait fait grève et la tension s’était cristallisée en affrontements violents. Aujourd’hui, le LKP garde quand même le contrôle de la situation. Je m’attendais à davantage de problèmes”.
Frantz a continué à travailler malgré la grève générale. “Pour les enfants, on peut compter sur la solidarité familiale. Ma fille de 6 ans et demi qui est en CP n’a pas pu aller à l’école depuis quatre semaines. Pareil pour la crêche de la petite de 2 ans, mais on se débrouille”, explique-t-il. En attendant la fin de la crise, le peintre est optimiste. “Les médias nationaux et le gouvernement commencent à se mobiliser. Je pense qu’on va sortir de l’impasse cette semaine”.
Marcelle Millard, 56 ans, habite à Gosier. Née en Guadeloupe, elle soutient la grève depuis le début. A l’en croire, “la vie n’est pas si dure”. “J’ai de l’essence et des provisions. A la campagne, tout le monde s’organise et on n’entend pas les gens se plaindre. Il y a des bananiers et un arbre à pain dans le jardin. Je refuse d’aller faire mes courses escortée par des gendarmes.” La crise ravive même chez elle de vieux souvenirs. “J‘ai l’impression de revivre la situation de mon enfance. A l’époque, il n’y avait pas de gros distributeurs. On se contentait des produits du terroir. Les Guadeloupéens sont habitués à se débrouiller et c’est pour ça que la résistance dure.”
Elise Barthet
LEMONDE.FR | 17.02.09 | 21h07 • Mis à jour le 17.02.09 | 21h10
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