Japon-La fin d’un modèle de croissance
Avec le recul de 12,7 % de son PIB, l’archipel est entré dans une phase de récession comme il n’en avait pas connu depuis plus de trente ans. Cela illustre l’effondrement du système économique fondé sur les exportations, estime l’Asahi Shimbun. [print_link]
Déclenchée par la faillite de Lehman Brothers en septembre 2008, la crise financière est en train de ronger, avec une force inouïe, l’économie japonaise. Le ministre de la Politique économique et budgétaire Kaoru Yosano, qui avait traité la crise de “piqûre d’abeille”, a révisé son jugement lors d’une conférence de presse tenue le 16 février. “C’est la pire crise que le pays ait connue depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale”, a-t-il déclaré. Le cas de Toyota en est une illustration. Le constructeur automobile a été obligé de revoir à la baisse ses prévisions de résultats annuels à trois reprises et a enregistré une perte d’exploitation de 450 milliards de yens [3,8 milliards d’euros] pour l’année fiscale 2008. “Nous n’avions jamais imaginé nous trouver dans une situation pareille”, a rappelé un des membres de la direction.
Le Japon ne s’est pourtant pas laissé emporter par la bulle financière comme les Etats-Unis et l’Europe. Malgré cela, il est touché par la crise beaucoup plus sévèrement que les pays occidentaux, avec une contraction à deux chiffres de son PIB [– 12,7 %]. Comment l’expliquer ? Pour Ryutaro Kono, économiste en chef chez BNP Paribas à Tokyo, “les industries exportatrices japonaises ont été les plus importants bénéficiaires de la bonne conjoncture mondiale soutenue par la consommation américaine. Maintenant que la crise a gagné toute la planète, ce sont elles qui souffrent le plus.” En raison du vieillissement de la population, le Japon ne peut s’attendre à un accroissement du marché intérieur. Les Etats-Unis étaient donc comme le Messie. Les Américains, de plus en plus endettés au fur et à mesure que le prix de l’immobilier augmentait, n’ont cessé d’acheter des voitures nippones. Confiants dans le développement sans fin du marché, les constructeurs automobile japonais ont continué à augmenter leur capacité de production. Mais aujourd’hui, ils enregistrent une chute de production de 4 millions de véhicules. En quelques mois, un volume représentant 80 % du marché intérieur annuel s’est “évaporé”.
Toyota n’est pas le seul à avoir perdu son “modèle de croissance”. Le secteur de l’électroménager est également touché de plein fouet par le recul des ventes. “Un noyé s’accrocherait à un brin de paille, mais ici il n’y a même plus de brin de paille”, explique Kuniaki Nozoe, PDG de Fujitsu. L’industrie d’électroménager avait créé un système qui consistait à exporter des pièces détachées produites au Japon vers la Chine, la Corée du Sud, la Thaïlande, où les appareils étaient montés afin d’être exportés ensuite vers les Etats-Unis. La chute de la consommation américaine a tout remis en question. Les exportations de décembre vers la Chine ont chuté de 35 % par rapport au même mois de 2007 et celles vers la Malaisie de 50 %. Les exportations sont ainsi dans un état d’effondrement.
Lors du premier choc pétrolier, où le Japon avait connu le recul le plus important depuis la fin de la guerre [– 13,1 %], le pays était sorti en trois mois de la croissance négative. La demande des pays producteurs de pétrole, qui s’étaient enrichis grâce à la flambée des prix du brut et à la faiblesse du yen due à l’inflation, avait boosté les exportations. Cette fois, il n’y a aucun remède miracle. Le marché mondial se rétrécit et le yen semble la seule monnaie forte dans le monde. Fumio Sudo, patron de JFE Holdings, n’est pas optimiste. “Pour remettre sur pied l’économie mondiale, il faut être prêt à attendre quatre ou cinq ans, voire une décennie”, assure-t-il.
Tetsuo Sano
Asahi Shimbun
Courrier International
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