IRAN: Le début de la fin
Une analyse de Yassamine Mather, une des responsable de la campagne “Hands Off People of Iran” (Bas les pattes du peuple d’Iran) publiée le 25 juin sur le site d’HOPI :
Le discours de l’ayatollah Khameini du 19 juin a rappelé à beaucoup d’iraniens certaines des expressions du Shah lors des derniers mois de son règne : l’ancien président et actuel secrétaire de “l’assemblée des experts” ne peut pas être corrompu, il a été l’ami du leader suprême pendant 50 ans ! Tout le monde en Iran a accepté le résultat des élections : ce fut de la faute des puissances étrangères et des médias étrangers que certaines personnes en ont douté ! Il y a des conspirations tout autour de nous, et comme à l’époque coloniale, les britanniques sont derrière elles.[print_link]
Le problème avec la plupart des dictatures c’est que, même pendant leur agonie, elles croient pouvoir mettre fin au mouvement en lançant simplement des ordres ou en dénonçant les “puissances étrangères”. Certains sympathisants du Shah vivent toujours avec l’illusion qu’il n’a pas été renversé par la révolution iranienne de 1979, mais qu’il a été détrôné par un complot de la Grande-Bretagne et des Etats-Unis. Pendant qu’il continuait de parler, attribuant d’étranges commentaires à Obama (le président des USA aurait apparemment admis en public avoir attendu les manifestation qui ont secoué l’Iran), on pouvait se demander si Khamenei, bien connu pour son usage de l’opium pour calmer la douleur de son bras blessé, n’avait pas pris une double dose ce matin-là.
Il disait qu’il aimait Mahmoud Ahmadinejad et qu’il était d’accord avec la plupart de ses déclarations (on suppose qu’il inclut la négation de l’holocauste, l’allégation selon laquelle Ahmadinejad avait introduit l’Islam au Vénézuela, que l’inflation explosait dans tous les pays d’Europe et d’Occident mais que les problèmes économiques de l’Iran n’avait rien à voir avec la politique du gouvernement mais n’étaient que la conséquence de la crise économique mondiale…).
Pourtant le leader suprême a réprimandé son président sur une question : il a eut tord d’accuser Rafsanjani et son propre conseiller, Ali Akbar Nateg Nouri, et leurs familles de corruption. Ces deux familles étaient ses amis, des pilliers de l’Etat islamique, et il ne voulait plus entendre de telles “accusations sans fondement“. Ceci serait donc, semble-t-il, la seule déclaration d’Ahmadinedjad, pendant ses quatre années de présidence, qui serait un mensonge ou une exagération.
Cependant, si Khamenei et ses conseillers avaient pensé que ce discours mettrait fin aux protestations, ils se sont trompés. En l’absence d’appel clair d’Hossein Moussavi ou de l’autre candidat “réformiste” Mehdi Karroubi (aucun d’entre eux n’a maintenu les appels précédents pour les manifestations), les protestations de samedi (Ndt : 20 juin) étaient bien plus radicales, s’attaquant à l’existence même de l’Etat islamique. pour la première fois depuis 1979, la foule criait “mort au vali faghih” (le leader suprême) et “mort à Khamenei“. Depuis lundi, les slogans sont dirigés contre l’ensemble du système : “mort au régime islamique“, “mort aux bassidji” et, autre flash-back de 1979, “Craignez le jour où nous serons armés“.
Il est maintenant clair que la tentative d’imposer Ahmadinejad au peuple iranien pour un nouveau mandat a poussé le régime dans une crise finale, puisque les appels à la grève générale gagnent en popularité. Le dimanche 21 juin, Karroubi, qui rêve toujours à un compromis, a déclaré que le régime pouvait encore sauver “l’ordre islamique” en annulant les élections. Mais l’incapacité à le faire, combiné avec les hésitations et doutes des “réformistes”, signifie que nous assistons au début de la fin. Sans aucun doute, le processus ne peut être prédit et son résultat est imprévisible, mais il a commencé et personne ne peut l’arrêter.
Bien sûr, l’expulsion des journalistes étrangers et l’interdiction de nombreux journaux ont réduit la couverture médiatique des protestations, dont les nouveaux slogans et le changement de nature des manifestations, mais la plupart des journalistes bourgeois qui sont toujours à Téhéran pouvaient voir que le 23 juin l’existence même du régime de la république islamique était attaquée par les manifestants. Dans les quartiers du centre de Téhéran, les jeunes attaquaient les banques comme les bureaux du gouvernement et les baraques militaires.
Les appels à la grève générale, les sit-ins et autres formes de désobéissance civile gagnent en élan et les protestations se sont maintenant clairement développées dans de nombreuses villes et même dans de petites bourgades de province, et ce malgré le recours du régimeà des méthodes répressives toujours plus dures. Contrairement aux allégations des apologistes du régime iranien et de certains journalistes, les manifestations n’étaient pas et ne sont pas dominées par la classe moyenne. En réalité, l’Iran ne possède pas une si énorme classe moyenne et parmi ceux qui ont montré leur courage dans les rues dès la première semaine, on trouvait de large fractions des classes les plus pauvres.
Ceux d’entre nous qui peuvent identifier l’appartenance de classe des manifestants par leurs habits et leurs accents n’ont pas le moindre doute sur la prédominance des ouvriers et des salariés (dont des enseignants, infirmières, et employés du secteur public) dans les récentes protestations, mais pour ceux qui n’ont pas de connaissance de l’Iran et qui nous racontent que les manifestants sont de la “classe moyenne”, laissez moi vous expliquer quelques réalités de base.
Si vous vivez dans un pays où le ministre du travail déclare que plus de 80% de la force de travail est employée en contrat précaire et rassure les capitalistes qu’en 2010, ce chiffre atteindra les 100%, qui, pensez-vous, va se joindre aux manifestations de protestation ?
Si vous vivez dans un pays où en mars 2009 on comptait en une année, malgré la répression, plus de 4.000 actions de travailleurs contre la privatisation et les suppressions d’emploi (le taux de chômage atteint les 30% alors que l’inflation est de 25%), dont des sit-ins, des séquestrations de directeurs, comme des grèves, qui, pensez-vous, va se joindre aux manifestations de protestation ?
Si vous vivez dans un pays dont le Fond Monétaire International a chanté les louanges pour sa ferme poursuite de politiques économiques néo-libérales, tout cela sous un certain Monsieur Ahmadinedjab, qui, pensez-vous, va se joindre aux manifestations de protestation ?
Si vous vivez dans un pays où les enseignants et les infirmières ont mené au moins quatre grèves majeures ces deux derrières années contre les choix économiques et politiques de leur gouvernement, qui, pensez-vous, va se joindre aux manifestations de protestation ?
Arrêtons de parler de la nature de “classe moyenne” de ces protestations spécifiques. Cependant, un certain nombre de points doivent être pris en compte. Contrairement aux commentaires de gens comme George Galloway, la révolution de 1979 n’a pas été commencée par la classe ouvrière. Les étudiants, souvent les enfants de la classe moyenne, ont commencé les protestations contre le Shah, qui étaient d’abord confinées aux campus universitaires, et ces mêmes étudiants étaient ensuite aux premiers rangs des premières grandes manifestations. Ce n’est pas un secret que l’action d’une minorité des couches moyennes peut parfois être l’étincelle d’un mouvement de masse.
En 2009, cependant, la classe ouvrière n’a pas été lente à se mettre dans l’action, et dès la semaine dernière l’idée d’une grève générale politique était dans l’air. C’est la gauche et ses militants qui ont été lents à répondre à de tels appels.
Le 18 juin, les ouvriers de l’automobile d’Iran Khodro ont publié le communiqué suivant : “Nous déclarons notre solidarité avec le mouvement du peuple d’Iran. Ouvriers de l’automobile, travailleurs : Ce dont nous sommes témoins aujourd’hui est une insulte à l’intelligence du peuple, un mépris de leurs votes, l’écrasement des principes de la constitution par le gouvernement.Il est de notre devoir de nous joindre au mouvement populaire. Nous, travailleurs d’Iran Khodro de chaque équipe allons arrêter de travailler une demi-heure pour protester contre la répression des étudiants, des travailleurs, des femmes et de la constitution et nous déclarons notre solidarité avec le mouvement du peuple en Iran.“
De même, le syndicat des travailleurs des bus Vahed a déclaré le 19 juin : “Ces derniers jours, nous sommes continuellement témoins des magnifiques manifestations de millions de gens de tout âge, genre et de toutes les minorités nationales et religieuses d’Iran. Ils demandent que leurs droits humains basiques, en particulier que le droit à la liberté et le droit d’élire de façon indépendante et sans tromperie soient reconnus. Ces droits ne sont pas seulement constitutionnels dans de nombreux pays, mais sont protégés contre toute remise en cause.“
La déclaration condamne les “menaces, arrestations, meurtres et la répression brutale” et appelle à soutenir les protestations qui “appellent à une réaction de chacun et de tout individu ou organisation particulière“. Elle continue ainsi : “Le Syndicat Vahed considère qu’aucun des candidats ne soutien les activités des organisations ouvrières en Iran, il n’appuie aucun des candidats à l’élection. Les membres du syndicat ont néanmoins le droit de participer ou ne pas participer aux élections et de voter pour le candidat de leur choix. De plus, il est un fait que les revendications d’une majorité quasi absolue des Iraniens dépassent de loin les revendications d’un groupe particulier. (…)” Et le syndicat “soutien complètement ce mouvement du peuple iranien pour construire une société civile libre et indépendante“.
Les ouvriers du pétrole ont aussi utilisé des moyens de communication bien établis pour parler des possibilités d’une grève. Pendant ce temps, une grève générale touche l’ensemble du Kurdistan, où la plupart des villes et des bourgades sont quasiment des villes mortes. Les appels à une grève générale nationale se développent jour après jour.
Yassamine Mather, 25 juin 2009
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