Théorie(s) des crises: une discussion.
Dans son texte, RS tente de réconcilier deux explications opposées de la crise.
A mon avis, il n’y parvient pas. Il ne démontre pas la nécessité d’une telle
réconciliation (pour moi la théorie de Mattick reste suffisante – bien que, je
l’admets, je ne l’aie pas relu depuis pas mal de temps). Pour ceux qui posent
que c’est nécessaire, sa proposition ne parvient pas à réconcilier Mattick et
les sous-consommationnistes.
Ce qui suit n’est que des notes de lecture pour la discussion.
B.A., Juin 2009.[print_link]
Page 1:
RS commence en affirmant que le problème théorique (une explication des crises
du capital) semblait réglé par Mattick, mais que finalement il n’est pas résolu
parce que “cette crise est une crise de sous-consommation” (est, et non pas
semble être). Rien de plus sur cette importante affirmation. Pourquoi les crises
antérieures semblaient elles dues à la “sous-consommation” mais ne l’étaient
pas, et pourquoi celle-ci est une crise de ce type? On ne sait pas, peut-être
plus loin dans le texte….
Puis RS examine l’analyse canonique de Marx : la raison pour laquelle il y a
trop de marchandises sur le marché est qu’elles sont supposées fonctionner en
tant que capital et ne le peuvent pas. Ok. Notez que ce qui est surproduit ici
ce sont les « moyens de production et de subsistance » ( c’est moi qui
souligne). C’est important : les marchandises que le marché ne peut pas absorber
sont aussi des moyens de production. Pour être vendues, il est nécessaire pour
le capital de s’accumuler au taux (élevé) adéquat.
Page 2:
Puis RS cite Marx quand il dit que, après tout, il considère les crises comme
étant provoquées par « la pauvreté et les limites de la consommation des masses
». Ici trois observation :
1) RS trouve une citation qui semble indiquer que la consommation des masses est
trop basse pour les forces productives. La référence à « la capacité absolue de
consommation de la société » peut indiquer que Marx pensait que la consommation
était le but final de la production capitaliste – ce qui n’est pas le cas, comme
RS l’admet plus loin dans son texte. Je n’ai pas les Editions Sociales, aussi je
ne peux pas trouver la citation dans son contexte.
2) Notez que maintenant les marchandises en excès sont seulement les
marchandises de la section II : celles que la pauvreté des masses empêche d’être
vendues. Cela implique que, s’il y a surproduction de moyens de production
(section II) , cela est dû à une réaction en chaîne qui part de la demande de
moyens de consommation, laquelle est trop basse
3) Il est facile de trouver des citations de Marx pour soutenir les vues de RS,
particulièrement dans le Livre III du Capital. Je pense que Marx n’avait pas une
idée arrêtée et qu’il y a suffisamment dans ses écrits pour satisfaire à la fois
Mattick et Luxemburg. Comme d’habitude, une citation de Marx n’est jamais la
preuve de quoi que ce soit.
Page 3 :
Une autre citation ( au second § ) . Cette fois, Marx explique clairement que le
développement des forces productives se heurte aux bas salaires des masses. Au
lieu de prendre la propre hésitation de Marx comme point de départ (pourquoi
pas), RS suppose que tout ce que Marx a écrit est correct et use de cette
confusion pour son propre objectif. Quel est cet objectif : c’est de réconcilier
Mattick et Luxemburg. Voyons s’il le peut.
Page 4 :
RS en arrive au point qu’il veut démontrer quand il écrit ( 1er §) : « Ainsi, la
tendance à la baisse du taux de profit est identique à un problème de
réalisation ». Ici, quelques remarques :
S’il y a réellement un problème de réalisation, cela ne veut-il pas dire
qu’il y a trop de plus-value (Baran & Sweezy, par exemple) et non pas trop peu ?
Ainsi un « problème de réalisation » devrait être identique à une augmentation
du taux de profit ?
Dans cette phrase, RS tente de montrer que Luxemburg a raison. Puis il se
tourne vers Mattick et le critique pour n’avoir pas lu Marx assez attentivement.
RS trouve une citation de Marx où nous avons le point de vue
sous-consommationniste juste après une expression du point de vue de la
surproduction/suraccumulation. La première partie (caractères romains) dit «
baisse du taux de profit ». Comme le taux de profit est trop bas, les
marchandises déjà produites ne peuvent retrouver le chemin du capital productif
parce que les capitalistes ne veulent plus investir. Cela veut dire que quand il
y a une crise, il y a un problème de réalisation. C’est une évidence. Que veut
dire la seconde partie ( en italique) ? Que les lois de distribution et
d’accumulation du capital empêchent un nouveau cycle d’accumulation.
Bien que l’on puisse prétendre que Marx a ici en tête que les ouvriers
consomment trop, je suis d’accord que, par rapport au contexte (pp. 1040-41 du
vol. II de l’édition Pléiade), la sous-consommation de la classe ouvrière est ce
dont Marx veut parler. Et c’est là qu’il se trompe. Mon impression est que le
texte du Capital que RS utilise dans sa présentation contient des matériaux à la
fois pour Luxembourg et pour Mattick, et que ce n’est pas en revenant à ce texte
qui apportera la moindre aide. Si RS refuse d’admettre que Marx peut quelquefois
se tromper, ce n’est pas la peine que je continue.
Sinon, remarquons qu’il semble y avoir une double identité dans l’esprit
de RS : a) identité de la baisse tendancielle du taux de profit et des problèmes
de réalisation ; et b) identité des problèmes de réalisation et de la basse
consommation de la classe ouvrière, comme si la classe ouvrière était
‘responsable’ de la réalisation de toutes les marchandises, pas seulement des
marchandises de la section II.
Dans la mesure où il s’agit de la baisse tendancielle du taux de profit
et de la réalisation en général, RS introduit l’identité de la baisse
tendancielle du taux de profit et des problèmes de réalisation sur la base de la
situation de crise, où le problème de réalisation existe bel et bien, mais comme
conséquence de la crise, alors que la baisse tendancielle du taux de profit est
sa cause. La baisse tendancielle du taux de profit n’est pas la crise, mais sa
préparation. RS ne parvient pas à faire la distinction, et ainsi peut obtenir
une ‘identité’ la où il n’y en a aucune.
Page 5:
Nouvelle formulation de l’identité de la sous-consommation et de la baisse
tendancielle du taux de profit : « la surproduction de moyens de production est
en fait une surproduction de marchandises, par rapport à la nécessaire
limitation de la consommation de la classe ouvrière ». Le capital produit trop
et La classe ouvrière ne peut pas absorber cela, parce que ses salaires sont
trop bas. Est-ce bien simplement cela qui fait entrer en éruption le capital en
crises périodiques ? Certes, la phrase suivante introduit une condition qui est
difficile à déchiffrer : elle répond oui pourvu que la limitation soit aussi
comprise comme la croissance ininterrompue du capital constant. Qu’est-ce que
cela veut dire ? Je ne saurais le dire exactement. Peut-être simplement que la
basse consommation de la classe ouvrière est l’autre face de l’augmentation de
la composition organique du capital, ce qui nous ramène à la baisse tendancielle
du taux de profit ? Si c’était le cas, ce serait cohérent avec ce que j’ai
compris jusqu’à présent. Et cela confirmerait que , dans l’esprit de RS, le
problème de réalisation du capital est centré sur les marchandises de la section
II.
Bien sûr on peut aussitôt avancer que si les travailleurs n’achètent pas assez
de saucisses, à la fin les capitalistes cesseront d’acheter des barres de fer, à
cause des répercussions sur l’économie. Mais ceci est le point de vue de
l’économie politique bourgeoise, où la demande finale est la seule et unique
logique de la production. Pour moi, jusqu’à présent, cette logique est la
production de plus-value, dont la réalisation trouve automatiquement sa voie
tant que le taux d’accumulation est suffisamment élevé, c.a.d. tant que le taux
de profit incite les capitalistes à investir.
RS admet cette idée immédiatement, mais seulement pour réaffirmer qu’elle est
identique à la sous-consommation de la classe ouvrière : « c’est parce que le
fond de consommation ouvrier est constamment réduit par rapport à la masse de
la production […] que l’on arrive à la surproduction de capital « .
Pour RS, la sous-consommation de la classe ouvrière ( qui, ne l’oublions pas,
est selon lui la cause ( et non pas : semble être la cause) de la crise
actuelle) et la non-réalisation de la plus-value étaient la même chose. Il
glisse négligemment d’une notion à une autre, ce qui me conduit à penser que,
pour lui, la réalisation de la plus-value totale ( sections I et II) est
conditionnée par le niveau de consommation de la classe ouvrière. Je ne peux pas
croire qu’un tel connaisseur de Marx et Mattick et tutti quanti en arrive à une
telle conclusion, et pourquoi. Peut-être devrais-je continuer ma lecture.
Page 6 :
RS commence en disant qu’il souhaite à présent passer d’une lecture statique à
une lecture dynamique de la crise. Au premier niveau (statique), il considère
qu’il a “produit une théorie unifiée des crises”. Qu’arrive-t-il quand la
dynamique de la crise est prise en compte?
Mattick dit qu’il y a une disproportionnalité entre production et consommation,
et que c’est une bonne chose pour le capital, et fait partie de son expansion.
Si cela veut dire que l’accumulation implique une hausse de la composition
organique du capital et donc un déclin De la section II par rapport à la
production totale, je suis d’accord. Et je suis d’accord avec ce qui suit, à
savoir que toutes les crises accentuent cette tendance.
Le § qui suit doit être lu avec attention. Premièrement, l’idée de Mattick ( à
vérifier, mais nous ne pouvons pas car nous n’avons pas la référence) est
reprise: la hausse de la composition organique du capital est normale dans une
phase d’expansion. Ensuite: “La sous-consommation et la sur-production de
capital sont la même contradiction immanente dans l’accumulation du capital, qui
éclate en crises”. Sommes-nous encore dans Mattick, ou est-ce RS qui parle ici?
Je suppose que c’est le second terme de l’alternative qui est vrai, à en juger
par mes souvenirs de Mattick, mais pour ceux qui n’en ont gardé aucun, il est
difficile de distinguer et donc ils croient que le concept de sous-consommation
a la bénédiction de Mattick. ( je ne peux pas exclure cela, mais cela
m’étonnerait et, si c’est le cas, je serai obligé d’être en désaccord avec ce
pauvre vieux Paul).
Puis vient un développement sur taux et masse du profit. [page 5/§ 3] C’est une
très vieille idée (y compris chez Marx) que la baisse tendancielle du taux de
profit peut être compensée par sa masse. Pour, bien que ça puisse être vrai pour
un capital individuel, cela ne l’est pas pour le capital dans son ensemble. Je
peux me tromper sur ce point, mais encore faut-il que je comprenne pourquoi.
Quoi qu’il en soit, retenons simplement ici que la conclusion de RS est :
“suraccumulation est surproduction, surproduction est suraccumulation”. Quelle
découverte! Soit je passe complètement à côté de la question, soit c’est une
évidence. Quelle que soit la réponse, notez ce qui suit: RS reconnaît que
parfois Mattick est proche de “cette unification de la théorie des crises”.
Mais alors, cette unification n’est plus l’identité de la surproduction de
capital et de la sous-consommation des masses. C’est l’unification de la
suraccumulation et de la surproduction. Pour ceux qui ont remarqué, dans ce
subtil glissement, quelque chose qui est un anathème contre Mattick ( la
sous-consommation des masses) est remplacé par une formule évidente qu’il
accepterait. Et le glissement permet à RS d’avoir la bénédiction de Mattick pour
l’anathème!
Page 6 sq :
Un développement sur le fait que Mattick est quelquefois très proche de
l’unification que RS défend ne me convainc pas. Sans entrer dans les détails, il
semble que RS interprète de façon erronée la phrase de Mattick qu’il a lui-même
soulignée (en italique). L’objectif de ce développement est bien sûr de soutenir
l’interprétation de RS, puisque Mattick lui-même était à deux doigt d’arriver au
même résultat.
La page 7 a un développement intéressant sur la baisse de la composition
organique due aux crises, montrant que C est plus fortement dévalorisé par la
crise que V. Ok, peut-être. Ceci explique comment le taux de profit est plus
facilement rétabli que l’on ne le pense habituellement, parce que la composition
organique évolue plus rapidement vers un niveau acceptable quand C diminue plus
vite du fait de la crise que ne le fait V. Ce passage pose la base du § de la
page 8 qui commence avec “Nous avons cherché…”. Que lit-on?
Ré-affirmation que la baisse tendancielle du taux de profit est identique à la
sous-consommation de la classe ouvrière. Ceci “a été démontré plus haut dans le
texte”. Non, ça n’a pas été démontré.
Ensuite : la formulation évidente ( cohérente avec la pensée de Mattick) : que
pour reprendre l’accumulation du capital, loin de distribuer de l’argent aux
travailleurs, les capitalistes augmentent le taux d’exploitation.
C’est suivi immédiatement par un méli-mélo bizarre où la part relativement plus
élevée du capital investie en salaires ( du fait de la composition organique
plus basse) est mise en équivalence avec “l’augmentation, par rapport à la
production totale, de la part du revenu destinée à la consommation”. Ici les
salaires deviennent du “revenu”, non du capital (variable)! Je comprends que
dans l’esprit de RS la part relativement plus élevée du capital dépensée en
capital variable après la crise résout d’une certaine façon le problème de
réalisation, réconciliant ainsi les deux branches de la théorie des crises.
Mais en même temps, RS se sent obligé de nous rassurer sur son orthodoxie en
rejetant la position des sous-consommationnistes : ce n’est pas l’augmentation
du pouvoir d’achat des travailleurs qui résout la crise, mais que “le taux de
profit a été rétabli par une augmentation de plus-value et par un changement de
la composition organique qui réduit la part de revenu transformé en en capital
constant”.
C’est fondamentalement du Mattick, des deux côtés du “et”. (Mais le but des
italiques est de souligner que RS a opéré une percée substantielle en termes
d’unification théorique). Maintenant suivez-moi : si la part du revenu dépensé
en tant que capital constant est réduite, cela signifie nécessairement que la
part dépensée en capital variable est augmentée. Dans la première partie, le
revenu est les profits du capitaliste, qu’il investit ou consomme. Dans la
seconde partie, l’emploi de travailleurs (investissement de capital variable)
devient tacitement une croissance du revenu de la classe ouvrière. Cela
ressemble à une ouverture aux mêmes sous-consommationnistes. Peut-être que non ;
peut-être que RS pense simplement que si le K total se divise en un C plus petit
et un V plus élevé, sa reproduction est facilitée, comme si seuls les
travailleurs étaient acheteurs du produit total et comme si les capitalistes
n’étaient pas capables d’ajuster la taille de la section II au changement de
masse de V.
Page 8:
Nous avons ici encore une autre formulation de l’identité de la baisse
tendancielle du taux de profit et de la sous-consommation de la classe ouvrière.
« Le même phénomène, la hausse de la composition organique, est d’un côté la
baisse tendancielle du taux de profit et de l’autre la diminution
structurellement nécessaire de la consommation de la classe ouvrière ». La même
idée est répétée quatre fois dans les quatre phrase qui suivent. Répétition
n’est pas preuve. En outre, nous avons quelquefois « consommation de la société
», et quelquefois « consommation de la classe ouvrière » comme stricts
équivalents. Dans cette version résumée, le truc de l’identité est évident : V
diminue absolument/relativement comparé à C, d’où les goulots d’étranglement de
la production. Comme c’est une loi incoercible du capital, c’est aussi une loi
qu’il y a de moins en moins de travailleurs pour acheter la production. Je ma
demande comment RS est convaincu par ce genre de raisonnement. Je ne veux pas
entrer dans une discussion étendue sur le thème ‘le capital est son propre
marché’, qui est la base de la pensée de Mattick (pour autant que je m’en
souvienne). C’est à RS de montrer que cela n’est plus valide. La diminution de V
par rapport à C est évidente. Il aurait dû montrer que sv ( pl), qui est composé
à la fois de moyens de production et de moyens de consommation, nécessite plus
de consommation de la classe ouvrière pour être réalisée – ce qui pour moi,
jusqu’à présent, est absolument faux. Le reste de la conclusion n’est rien
d’autre que la répétition sans fin de la même proposition.
Page 9 : Le pourquoi.
Pourquoi faut-il unifier les théories des crises ? Je ne sais pas. RS dit que
c’est « essentiel si nous voulons définir la crise actuelle ». Il répète que
cette crise est une crise de réalisation, sans explications. Peut-être qu’il l’a
montré ailleurs. Il semble que cela fasse partie de sa conception de la
spécificité de la relation de classe aujourd’hui. Ici au moins, je ne vois pas
pourquoi, et c’est la raison pour laquelle, pour le moment, je ne considère pas
le problème qu’il pose comme légitime. Et si l’on admet que cette unification
est un problème légitime, alors la démonstration de RS n’est pas convaincante.
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