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L’aveuglement des impasses

Il est courant dans le petit milieu radical, de faire usage de distinction dans les débats.
Certes, des divergences réelles existent bel et bien, il n’est pas question ici de les nier.
Certes, il est bon de faire valoir les désaccords quand on estime que certains choisissent des routes sans issue. Cependant, quoi que chaque acteur veuille en dire, en admettre, les postures sont trop souvent monnaie courante.
Il n’est malheureusement pas suffisant de pointer les errements des autres, chacun sachant très bien le faire à l’égard des groupes de personnes et d’idées avec lesquels il ne suit pas forcément les mêmes hypothèses. Il serait bien néanmoins que chacun puisse arriver à pointer par la même occasion ses propres errements, ses propres doutes, ses propres impasses. Au lieu de chaque fois faire croire aux autres et surtout à soi-même, de détenir une, pour ne pas dire la, solution.

Comment peut-on encore oser se convaincre au sein de l’Histoire, dans les temps présents, de tenir en kit les bons remèdes, les bons coups à donner, les techniques, tactiques, stratégies, non-stratégies, pensées, indispensables à faire fléchir ce vieux monde ? On critique une systématisation de reproduction des pratiques, de la praxis, de certains, sans voir que tout en ayant une praxis différente, la sienne n’est pas plus neuve. La sienne n’est pas moins sans issue. N’est pas moins pauvre. Et les balles de ping-pong sont envoyés d’un côté comme de l’autre sans remettre en question ni la pertinence de la partie, encore moins sa qualité dans le jeu.

Si nous devons faire usage de catégories ridicules et usées, mouvementistes, insurectionnalistes, communistes (anti-autoritaires), anarchistes (non babacools), pour résumer le débat, qui fait surgir ce texte, à ces tendances, faisons-le une dernière fois. Et ensuite arrêtons une bonne fois pour toute de les réifier. Arrêtons enfin la politique d’un côte comme de l’autre. Car, pour caricaturer et simplifier (ce texte ne se veut pas un panorama précis et mesuré ni des débats, encore moins de leurs acteurs), critiquer pour les seconds des pratiques des premiers usant de la politique, n’est malheureusement pas suffisant pour se défaire de la politique. Et si la politique doit crever, la non-politique qui n’en reste pas moins une offre de politique, doit la suivre par la même occasion. Cette phrase se mort la queue, ne veut pas forcément dire grand chose en terme pratique, mais l’image n’en est pas moins claire. Du moins je l’espère. La politique ne s’identifie pas tant aux pratiques et aux contenus (du moins ce n’est pas suffisant pour simplement l’identifier) que de la dynamique qui la fait surgir. Les mécanismes de distinction dans l’espace radical en font partie.

Il est effectivement bon en temps de mouvement social de rappeler aux dits mouvementistes qu’il serait intelligent pour une fois de ne pas se fourvoyer une ènieme fois dans certaines pratiques qui n’amènent à rien, ou au contraire du mauvais. Le tout récent texte “Mouvementisme et éternel recommencement” donne un bon éclairage, de bons exemples.

Néanmoins, l’unique mais tout autant gros problème de ce texte est de paraítre, plus qu’une simple mise en garde voire mise au point, comme volonté de montrer à travers les critiques formulées le fait que ceux qui auraient écrits ce texte ou s’y reconnaítraient, détiendraient les bons moyens, le bon chemin, la bonne fin. Contrairement aux autres incriminés. Et donc de tomber malgré lui dans du débat politique, dans du débat d’offre politique. C’est tout autant problématique.

Formuler l’analyse que ce soient les lycéens et jeunes divers assocíés qui donnent le plus de spécificité et de radicalité à ce mouvement, que des piquets de grèves usés dans leur formule répétitive démocrate ayant pour fin inéluctable le retour à la normale et les déceptions individueles qui vont avec (car oui, sans doute que de nombreuses subjectivités participants à ces piquets voudraient que cela ne se termine pas ainsi ; je ne parle pas des activistes venant s’y agréger). Oui, certes. Mais qu’est que cela dit sur ce qui peut être entrepris pendant, avant ou après ? Qu’est ce que cela dit sur le fait de pouvoir, vouloir, devoir rencontrer des gens qui voudraient eux aussi faire crever le monde dans lequel on survit ? Pas grand chose.

La guerre sociale, si on devait reprendre ces termes (tout en n’ayant aucun problème avec eux, je ne vais pas forcément vouloir les fétichiser), doit se placer en perspectives… sociales. La dite guerre sociale ne doit pas se transformer en guerre privée avec l’Etat. D’un point de vue pratique et immédiat, c’est s’engoufrer pleinement à terme pour ceux se laissant biaiser par ce point de vue romantique au sein des ténailles répressives du détenteur légitime de la violence. D’un point de vue des perspectives, c’est d’une certaine facon quoi qu’on en dise, quoi qu’on en veuille, omettre le rapport social qu’est le capital et penser que les choses pourraient changer radicalement et durablement “simplement” à travers une comptabilité des coups donnés au camp adverse, de manière très arythmétique. Ou encore quand on voudrait aller “plus loin” de voir les transformations plus profondes simplement à travers les rapports inter-individuels impliqués (c’est peut-être nécessaire car on ne peut certes pas devenir demain ce que l’on n’arrive pas à être à 10% aujourd’hui entre nous, mais c’est carrément loin d’être suffisant, moteur, le coeur de l’affaire). Encore une fois tout cela symptôme du peu de perspectives.

Que l’on ne s’y méprenne pas. Il n’est pas question de juger quelconque action de nuit comme de jour. A trois comme a cent. Il n’est encore moins question de renforcer l’adage débile et injustifiable : “vous avez cherché” la répression (que ce soit suite à une occupation publique ou suite à une action clandestine). La répression ne vient jamais de ceux qui la prennent en pleine gueule, c’est un fait. A contrario, il faudra aussi arrêter un jour de sortir cette carte trop facile qui permet de ne plus se poser clairement les problèmes immédiats rencontrés et aussi le peu de perspectives qui en découlent. En d’autres mots, même si la encore il n’est pas question de faire une économie des mots et des actes, il faudra savoir enfin se poser la question : qu’est ce que l’on risque de prendre dans la gueule pour quelles perspectives possibles en découlant ? Cette formule n’étant jamais isolée de la situation dans laquelle on est (à notre niveau mais surtout de manière générale). Tout en gardant à l’esprit que ce ne serait pas non plus une telle question pseudo pragmatique objectifiante qui donnerait en elle-même les perspectives. Loin de là. Elle servirait peut-être plus à parfois se préserver quand finalement cela n’en vaut pas la peine.

Les pratiques, radicales soient-elles, prises isolément ne signifient certes rien quant au contenu. La production de contenu intellectuel à tendance visionnaire n’apporte pas grand chose non plus. Mais les pratiques avec contenus n’ayant pas de perspectives réelles ou bien faibles, ne font pas changer grand chose. Vouloir occuper un opéra et y trouver un réel enjeu de lutte signifie pour certains la pauvréte des perspectives ou alors pour d’autres effectivement une certaine jouissance à vivre son rôle de – bien petit – radical dans ce monde. Mais ne pas oublier que l’on peut reprocher exactement les deux mêmes tendances, travers, quant il s’agit de parler d’actes noctures commis en petits groupes affinaires. Non la différence n’est finalement pas si lointaine. Décidemment, les pratiques ne font le contenu, et n’en formulent encore moins les perspectives. Si ce n’est dans la volonté aposteriori de performer via les textes qui en découlent. Dans ce cas, autant se positionner directement dans la catégorie des intellectuels visionnaires, on s’épargnera les emmerdes matérielles.

Des fronts communs, qui plus est radicaux, qui videraient tout contenu pour trouver des compromis de merde, sont effectivement à éviter. Ceci étant dit, il va bien falloir inventer des choses qui permettent de sortir de toutes ces impasses. Au niveau de chacun, de petits groupes, que plus collectivement, et bien plus largement. Les perspectives de rupture avec ce monde ne pourront se construire avec du compromis. Elles ne pourront tout autant pas se construire seuls. Que ce soit de jour comme de nuit. Ce texte n’a aucune réponse à apporter. Juste la merde dans laquelle on est à suggérer.

Un électron libre et enragé ayant le goût à l’écriture ces derniers jours.

Indymedia
vendredi 22 octobre

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  1. Patlotch
    26/10/2010 à 10:26 | #1

    Ce texte étant mis en ligne, je recopie ici, avec qq modifs, le commentaire posté hier dans “video polémique”.

    Je trouve féconds les questionnements du texte « L’aveuglement des impasses »

    Ce qui suit n’engage que moi, étant entendu que je ne suis pas dans la situation de celui qui l’écrit, ni de ceux à qui il s’adresse prioritairement, en réaction à d’autres textes et positions « dans le petit milieu radical », en particulier « Mouvementisme et éternel recommencement » http://dndf.org/?p=7977 . Dans cette optique, et bien que je me sente plutôt en phase avec ce texte, j’essaye d’expliquer ce qui me gêne.

    D’abord, même si c’est accessoire et sans intérêt, dire qu’il m’est impossible de me poser ce genre de questions, que ce soit de façon individuelle ou à quelques-uns en terme de groupe, avec ce parfum d’un « Que faire ? », d’activités à choisir dans une « perspective » : » il va bien falloir inventer des choses qui permettent de sortir de toutes ces impasses « .

    D’un côté le texte me semble rendre compte d’un ressenti subjectif particulièrement situé et lucide de ce que « Théorie communiste » appelle l’écart http://theoriecommuniste.communisation.net/Francais/Archives/TC-20/, d’un autre le fait qu’il interroge des « pratiques » du « petit milieu radical » lui confère des limites quant à sa pertinence relativement au tout du mouvement, notamment à la dynamique que lui insuffle, à la différence du CPE, une participation ouvrière puissante et articulée avec d’autres secteurs en lutte (jeunes lycéens ou sur le marché du travail), dont l’intervention sur la seule base de leur implication dans l’économie serait moins efficace. Cela me semble essentiel car, le patronat ne s’y trompe pas en comptant ses sous perdus, la lutte participe de la crise économique et aggrave la concurrence capitaliste en défaveur des salariés de France. Ce conflit social est encore davantage « un événement mondial » que les émeutes de novembre 2005 (c’était l’entrée en matière de ‘Ballade en novembre’, Meeting 3 http://meeting.communisation.net/archives/meeting-no-3/les-textes-publies-12/article/ballade-en-novembre-reloaded . Mais la crise de 2008-2009 étant passée par là, il paraît normal que certaines luttes prennent une ampleur, des formes, voire un contenu inouis à l’époque du CPE.

    « L’aveuglement des impasses » me semble rendre compte de ce que l’on peut ressentir, participant aux luttes actuelles tout en s’inscrivant dans la problématique communisatrice, dans la mesure où l’on peut avoir l’impression qu’y aller ou pas, prendre des risques et y laisser des plumes ou plus, cela ne changera pas, une fois encore, le résultat : tout recommencera comme avant, dans et par l’économie, dans un retour en force de la crise et une accentuation de la misère – matérielle et morale. Qu’attendre, après, qu’une période de conflits larvés un peu plus violents, un peu moins revendicatifs, mais sans perspective politique, ce qui est au demeurant tant mieux ? Cela doit créer pour le moins une tension psychologique, un doute à la limite du désespoir, quand on est engagé dans la lutte de classes comme si elle était une vocation.

    Je partage la nécessité que « La guerre sociale […] doit se placer en perspectives… sociales », mais je pense que cela ne sera pas le résultat d’un volontarisme (d’une « politique »). Elle le fait (fera) d’elle-même, dans la logique de son essence de lutte de classes dans le cours de l’économie politique. C’est sa nature historique, de mouvement, de procès. Mais elle le fera… sans perspectives sociales, dans l’immédiateté de la perte de toutes perspectives sociales. Nous n’avons entre les mains que le moment actuel et sa totalité. Pas de perspectives en point de mire, pas de projet, pas de programm(atism)e communisateur.

    Ce conflit social est un tout où chacune des composantes et des formes « pratiques », du côté des lutteurs, est inséparable des autres, et n’existerait pas sans elles, parce que le moment actuel est un tout (une polyphonie polyrythmique, sur un déroulement harmonique de classes). Il ne dépend de la volonté de personne qu’il en soit autrement, et c’est d’ailleurs pourquoi, en dehors de situations concrètes d’actions particulières où quelques-uns s’engagent à telle activité à laquelle d’autres se décident alors, les considérations générales sur « la bonne ligne » n’ont aucun intérêt que de se faire plaisir en se considérant comme de » ceux qui […] détiendraient les bons moyens, le bon chemin, la bonne fin. »

    S’il n’y avait pas eu le déclencheur des retraites (je préfère déclencheur à « prétexte », de Vaquin, « Les retraites sont un prétexte à la formulation de la colère » http://dndf.org/?p=7871 ), il n’y aurait pas la possibilité de dire « les retraites, nous, on s’en fout », enfin… on s’en foutra davantage le jour où la question ne se posera plus, salariat aboli. S’il est certain que dans toutes les actions un tant soit peu énergiques en lien avec l’économie – et donc jouant de fait avec la légalité sans faux-semblants démocratiques * -, il en est bon nombre qui voudraient bien « aller plus loin », voire qui bougent pour cela à commencer chez les salariés, il n’empêche que ces luttes existent encore sur la base du « contexte retraites », pour l’aspect légitimant la lutte, et dans le contexte « capital mondialisé », comme limite actuelle à la possibilité d’un changement de nature de cette lutte en révolution.

    * la “légalité” du droit, de la loi, n’est autre à un moment donné que celle du mode de production, de son ordre, l’économie, et de son idéal étatique, la démocratie. Le droit d’exploiter.

    Comme dit l’autre, en haut à droite de la page : « Lorsqu’on considère de tels bouleversements, il faut toujours distinguer entre le bouleversement matériel – qu’on peut constater d’une manière scientifiquement rigoureuse – des conditions de production économiques et les formes juridiques, politiques, religieuses, artistiques ou philosophiques, bref, les formes idéologiques sous lesquelles les hommes prennent conscience de ce conflit et le mènent jusqu’au bout. » K. Marx « Préface à la critique de l’économie politique »

    Ce texte à propos insiste sur la multiplicité des voies suivies pour entrer dans la danse. J’inverse la citation en soulignant le début : « Alors s’ouvre une époque de révolution sociale. Le changement dans la base économique bouleverse PLUS OU MOINS RAPIDEMENT toute l’énorme superstructure. »

    L’auteur de « L’aveuglement des impasses » insiste sur l’articulation entre « pratiques » et « contenu » [je souligne] : « LES PRATIQUES, radicales soient-elles, PRISES ISOLÉMENT NE SIGNIFIENT CERTES RIEN QUANT AU CONTENU »… « Décidemment, LES PRATIQUES NE FONT LE CONTENU, ET N’EN FORMULENT ENCORE MOINS LES PERSPECTIVES. Si ce n’est dans la volonté aposteriori de performer via les textes qui en découlent. Dans ce cas, autant se positionner directement dans la catégorie des intellectuels visionnaires, on s’épargnera les emmerdes matérielles. »

    A mon sens, ce n’est pas vraiment le problème, ou plutôt ce n’est un problème que dans la posture d’où cela est dit, qui me semble ressortir du « Que faire ? ». Il est plus pertinent d’affirmer, à l’inverse, que LES PRATIQUES FONT LE CONTENU, A CONDITION DE LES PRENDRE ENSEMBLE (y compris les pratiques capitalistes), parce qu’il n’y a que l’ensemble qui donne, du point de vue de la lutte de classes, la clé de compréhension de chaque action particulière, y compris celles qui se reconnaissent en tant que « radicales ». Comment parler d’un point de vue défini comme « radical » pourrait-il aujourd’hui ne pas être « politique », alors que cette posture définit une politique ?

    Pour jouer avec les mots, se dire radical, aujourd’hui, n’est-ce pas qu’une forme de revendication intellectuelle (ou existencielle, si on préfère), quelles que soient les « pratiques » qui vont avec ? Mais ces pratiques prises en tant que telles ne sont pas moins (porteuses) d’une théorie, et d’un contenu, l’identité radicale comme constituante d’un sujet où le rapport de classe comme contradiction en procès risque de se diluer, même quand le capital est évoqué.

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