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La question de l’austérité : travail, protection sociale et vie post-familiale

Voici une traduction auto remanié par les soins du blog « In Limine  »- peut-être parfois assez approximative – d’un article du blog américain PRIMA PORTA portant sur l’austérité et ce que devrait impliquer en tant qu’analyse et attitude la lutte contre elle.

La question de l’austérité : travail, protection sociale et vie post-familiale

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Qu’est-ce que l’austérité, et comment doit-elle être combattue? Doit-elle être combattue à tous prix? 

Récemment, certains camarades ont lancé un argument anti-étatique en ce qui concerne les coupes dans les budgets: étant donné que l’État est le Mal, les coupes dans les budgets peuvent donc être bien vues – afin d’accélérer l’avènement de l’anarchie. En d’autres termes, louée soit la saisie conservatoire qui nous rapproche de la chute du gouvernement. Comme preuve, on pourrait citer le geste en cours au Department of Homeland Security de libérer des sans-papiers des centres de détention ICE en Floride – 2.000 détenus ont déjà été libérés, 3000 de plus étant promis en Mars. Il semble indiscutable qu’une DHS et un ICE plus pauvres serait préférable pour les communautés d’immigrants et d’autres populations opprimées; l’anti-étatisme aurait toutes les raisons de se réjouir du cours apparent d’auto-castration du complexe carcéral industriel. “Apparent” est le terme clé cependant : comparé à une population carcérale totale de 429.000 immigrés, cinq mille de moins est une piètre victoire. Considéré globalement, les aspects positifs des saisies dans les budgets semblent bien pâle en comparaison avec l’impact négatif des pertes d’emplois et des coupes dans les services sociaux.

L’austérité signifie la guerre de classe, mais cette affirmation doit être nuancée: l’austérité est d’abord et avant tout la manifestation d’une crise de la reproduction du capital et du travail – ou plutôt, une crise de la reproduction du rapport salarial. Nous ne serons pas en mesure de comprendre l’agression en cours sur la protection sociale sans comprendre que la protection sociale et les salaires sont inséparablement liés: la stagnation des salaires et la restructuration du travail dans les quatre dernières décennies annoncent le retrait des services sociaux et la transformation de la protection sociale en un maigre supplément de salaire. Pour être encore plus précis, il faudrait ajouter que le terme «supplément» ne désigne pas ici un changement dans la relation du travail vers le capital, mais plutôt un changement dans les moyens par lesquels le rapport salarial se prolonge. Pour dire les choses simplement, le remplacement du salaire par des prestations d’admissibilité maintient le paradigme de la relation salariale intacte même si les salaires continuent à stagner et à baisser, et que le capital se débarrasse de travailleurs en plus grand nombre. Oui, la protection sociale a servi à émanciper les travailleurs de certaines charges liées à leur auto-reproduction, principalement les soins de santé, l’éducation, l’assurance sociale (chômage), et les soins aux personnes âgées. Mais il a également renforcé la dépendance des travailleurs par rapport au capital, a maintenu la position du prolétariat en tant que prolétariat tandis que toutes les forces ont tendance à le pousser vers le licenciement – le statut d’un surplus de population. C’est ce statut que l’austérité nous oblige à affronter, et, politiquement, à chercher à surmonter.

Je ne prétends pas avoir généré cet argument ex nihilo; les grandes lignes de mon analyse sont dérivées de Théorie Communiste, dont le récent travail (la citation suivante est tirée de «,Le moment présent”2011; ceci et d’autres traductions modifiées de l’original ) offre un compte-rendu indispensable de la convergence et du chevauchement de la protection sociale et du rapport salarial, à commencer par l’invention des droits sociaux dans le sillage de la Seconde Guerre mondiale :

Dans la phase précédente du mode de production capitaliste, jusqu’à la fin des années 1960, l’exploitation a produit ses propres conditions de réalisation – des conditions qui étaient à l’époque optimale du point de vue de la valorisation du capital lui-même. Cela comprenait tout ce qui fait de la reproduction du prolétariat un facteur déterminant de la reproduction du capital: les services publics, la délimitation de l’accumulation dans les ères nationales, l’inflation rampante « effaçant » l’indexation des salaires, « le partage des gains de productivité ». Ces conditions ont rendu possible pour le prolétariat d’être légitimement reconnu et construit à l’intérieur du mode de production capitaliste comme un interlocuteur national (à la fois socialement et politiquement), du point de vue du capital. D’où l’identité ouvrière modulée entre la social-démocratie et le conseillisme.

L’expression «du point de vue du capital» est la clé pour comprendre la position de TC sur l’État-providence. La victoire du travail pour garantir la protection sociale a toujours été une victoire à la Pyrrhus ; après tout, notent-ils, le filet de sécurité fonctionne comme un appareil de capture, incitant non seulement à la reproduction du capital, mais aussi à la reproduction de la classe ouvrière dans le capital – ou plutôt, à la reproduction du rapport salarial. Le compromis fordiste / keynésien des années 1930 a presque apporté le plein emploi en Amérique et en Europe de l’Ouest pendant les années fastes des années 1950 et 60, à son tour, et de façon concomitante, la reproduction de la force de travail du prolétariat a été entièrement organisé par et pour le rapport salarial, complétée par des programmes de prestations qui étaient, en effet, les dépôts d’épargne prolétariens (par exemple la sécurité sociale). Les salaires élevés étaient la prémisse fondamentale de ce grand marchandage: plutôt que de remplacer le revenu salarial, la protection sociale a été mis en place pour soutenir l’hégémonie du rapport salarial, en s’assurant que toute une vie de travail serait récompensée par des avantages sociaux et le développement des infrastructures (entretien des routes, les services publics, etc). Le but n’a jamais été d’émanciper les travailleurs, mais plutôt de les garder à la botte du capital, même en dehors du lieu de travail et au-delà de l’âge de la retraite obligatoire – jusqu’à ce que la mort nous sépare!

Comme TC l’a récemment suggéré dans “reponse_aux_AmericainesGenre» (2011), le lien d’après-guerre entre les forces productives et reproductives a été noué au sein de la famille nucléaire, en combinant le mâle idéal salarié avec le travailleur reproductif idéal, la mère au foyer. Depuis le début des années 1970 cependant, la restructuration capitaliste a effectivement défait ce lien, a dissocié la production de la reproduction et a brouillé les codes de la vie de famille jusqu’à les rendre méconnaissables :

L’effondrement du modèle de l’homme-soutien-de-famille à temps plein lié à une entreprise ou un lieu de travail constant, est accompagnée d’une augmentation du nombre de travailleuses, du travail à temps partiel (les travailleuses et le travail à temps partiel ont tendance à être associées l’un à l’autre), du travail temporaire, de l’externalisation, de la sous-traitance, en d’autres termes, d’une multiplication des situations intermédiaires. L’accumulation du capital ne peut plus être confinée à la sphère nationale, chaque État ne peut donc plus considérer le salaire “comme un investissement», selon la formule fordiste. L’utilisation et la valorisation de la force de travail devient une variable d’ajustement de la concurrence extérieure, toute politique orientée vers la stimulation de l’économie ou de la protection sociale pour les chômeurs est condamnée. C’est l’époque de Barre, Thatcher et Reagan. Tous les modèles sociaux, toutes les modalités dynamiques de l’exploitation et de la reproduction de la force de travail déployées un peu partout dans le monde capitaliste développé au cours des années 30 et dans la période suivant immédiatement la guerre, disparaissent désormais.

Dans le sillage du tournant néo-libérale, l’auto-reproduction du prolétariat n’est plus noué, ou “coagulé”, au sein de la famille, ce qui ne veut pas dire, toutefois, que le rapport salarial ne régit plus la survie et la subsistance de la classe ouvrière. “Segmentation” est le terme clé ici : comme chaque membre de l’unité familiale est aujourd’hui captée séparément par le rapport salarial, TC soutient que la famille ne peut plus servir de principale organe de reproduction. Le mari, la femme et les enfants sont désormais responsables de leur propre auto-reproduction, tout le monde va, se forme pour, ou cherche un travail, selon des calendriers différents et entraînant des besoins distincts d’auto-reproduction. La famille qui autrefois mangeait le dîner ensemble, se bouscule désormais à manger à des moments différents et dans des endroits disparates. De même, les familles n’ont plus en tant que ressource commune les revenus d’un seul (homme) chef de famille, dont les «indemnités» sont versées à l’épouse et aux enfants ; l’extension du crédit et de la normalisation du temps partiel et du travail temporaire font en sorte que tous les membres de la famille ont accès au rapport salarial, au moins de façon latente :

Dans cette ré-internalisation de la protection sociale dans le cadre de la logique structurelle du travail, la famille n’est plus l’endroit où l’externalisation « sociale » s’applique ; d’où l’adolescente américaine enceinte n’a rien d’autre à faire que travailler … ou faire semblant de travailler. La famille est autorisé à s’anéantir, ou de se présenter dans toutes sortes de formes plus ou moins éphémères, parce que ce n’est plus le lieu d’une coagulation de la reproduction sociale de la force de travail, mais plutôt, elle devient un espace où les segments individualisés de cette reproduction simple coexistent (simple addition) : un enfant à l’école, un autre au travail temporaire, un chômeur adulte, une femme qui travaille à temps partiel, un prestataire d’aide sociale, un salarié, travailleur à temps plein – chacune de ces positions a sa propre logique ; l’ensemble n’est plus organisé autour d’une figure centrale [le travailleur mâle] pour l’amour duquel se déroule la reproduction, il n’y a plus aucun ensemble à proprement parler.

La famille restructurée fait partie intégrante d’une économie largement restructuré dans laquelle « toute force de travail individuelle devient indépendante », à la dérive de l’autre, toute circulation entre le travail et le capital devenant impitoyablement segmentée. Pourtant, la segmentation (ie la division, l’atomisation, la personnalisation) ne veut pas dire que l’hégémonie du rapport salarial a fait long feu – pas le moins du monde. Nous avons atteint un point, comme le soutient TC, où « l’achat de la force de travail par le capital est désormais totale », ce qui signifie que les travailleurs vivent désormais entièrement à l’intérieur du rapport salarial : en l’absence d’autres moyens de subsistance que la vente de sa propre force de travail (en l’absence même de l’« allocation » paternaliste), les travailleurs sont traités comme si la vente de leur force de travail au capital avait déjà été réalisée, peu importe si une telle transaction se produise effectivement. Avant l’inscription de l’étudiante de l’école vers la population active « professionnelle » (une possibilité de plus en plus lointaine pour la grande majorité des travailleurs), elle aura déjà été interpellé en tant que travailleuse potentielle des milliers de fois ; non seulement toutes ses espérances, et toutes les attentes qui viennent d’elle, se constituent autour de sa quête indépendante d’un salaire – vers laquelle elle peut accumuler une vie basée sur la dette – mais il n’y a littéralement aucun moyen de faire sa vie autrement. D’une certaine manière, généralement par le biais d’une combinaison de temps partiel et / ou d’emplois informels, elle va trouver le moyen de payer son appart’, ses repas, son téléphone portable et son accès aux moyens de sociabilité urbaine (boisson, divertissement), tous étant coordonnés selon la temporalité du salaire hebdomadaire ou du salaire mensuel. Inutile de dire que le crédit joue un rôle de plus en plus important dans ce pacte absurde entre le travailleur et le capital, au point que les questions essentielles de loyauté sont examinées avec un rapport au crédit. La vie en dehors du rapport salarial devient strictement impensable, même ceux qui ne peuvent pas trouver de travail sont interpellés – ingérés peut-être un meilleur mot – en tant que force de travail.

L’« achat total » du travail par le capital combine une précarité extrême avec une dépendance extrême : les travailleurs sont dans une période de plus en plus difficile afin de se reproduire au sein du système salarial, de tel façon qu’ils ont besoin du capital plus que jamais. La dépression est certainement l’un des résultats de ce marché infernal, le revers d’une omniprésente (et souvent décrié) philosophie du droit, selon laquelle les salaires occupent la même place que la protection sociale ; tous deux sont des « droits », pour ainsi dire – une formulation pervertie par le prétendu mouvement du Droit au Travail. Comme TC le dit, « il existe une tendance à l’égalisation des revenus salariaux (revenus du travail) et des revenus provenant des prestations de chômage (revenus d’inactivité), et une contagion institutionnelle entre les deux. » Nous pouvons observer un changement dans la temporalité de l’auto-reproduction qui sous-tend cette tendance : dans l’économie restructurée, le travail est de plus en plus posée dans un hypothétique futur, avec ses retombées et ses avantages ; bien que la famille nucléaire se soit largement effondrée, il subsiste une fiction régissant, en unifiant la diversité des secteurs du prolétariat dans la soumission à un rêve-image de l’ère domestique des années 50, un paradis de l’emploi régulé et de l’ordre patriarcal. Comme indiqué dans le Communiqué d’un avenir Absent (2009) et certains tracts similaires, le temps de travail est devenu un temps d’attente, dans laquelle l’espoir évanescent d’un « retour à la normale » justifie à lui seul les difficultés et les déceptions de la crise actuelle. Un étudiant contractera des prêts pour payer un diplôme professionnel, un ingénieur mis à pied traîne dans des emplois à temps partiel dans l’attente de jours meilleurs, un immigré cherche du travail dans une ville étrangère loin de sa femme et de ses enfants … et ainsi de suite. Comme la promesse d’un niveau de vie décent est toujours davantage reportée, la croissance de la main-d’œuvre dépend de substituts – crédit et protection sociale – au point qu’il ne lui importe pas plus de savoir comment on fait pour gagner sa vie ; tous les jours, nous nous confrontons à la crise d’auto-reproduction la tête baissée, et tous les soirs nous nous demandons comment la vie sera possible la semaine prochaine, le mois prochain ou l’année prochaine.

Mais ces traumatismes nocturnes sont partout contredite par les vérités du monde réel. Si l’emploi est un droit universel, alors notre abjection ne peut être qu’un état temporaire ; attendre assez longtemps et un travail viendra, et avec lui, une famille heureuse – même si nous ne croyons plus à ce fantasme, il nous paraît légitime au niveau spatial, la sphère urbaine ayant été restructurée comme faisant partie intégrante du mode de production capitaliste, en transformant des zones de logements à prix modique, des magasins, des parcs et des pubs dans un parc à thème pseudo-bourgeois de shopping et de loisirs. Loin d’étendre l’espace vital de la bourgeoisie, qui restent en grande partie en retrait dans leurs enclaves de banlieue (en grande partie mais pas entièrement: témoin Manhattan par le maire Bloomberg), le développement urbain et l’embourgeoisement de la citée jouent le rôle le plus pernicieux de renforcement de la relation salariale dans sa période de crise – dirigeant le prolétariat vers les portes des agences d’intérim, en d’autres termes. Celle qui n’a pas l’intention – ou fait semblant – de travailler ne doit pas vivre, pas plus qu’elle ne peut prétendre aux produits biologiques. Agissant de concert, les « revivalistes » urbains et les petits-bourgeois commerçants ont cimenté la relation salariale dans le tissu de la ville elle-même. A tour de rôle, la métropole contemporaine interpelle ses utilisateurs (un terme plus approprié que «habitant») en tant que professionnels à plein temps – une absurdité, puisque la plupart des travaux disponibles dans les villes d’aujourd’hui sont à temps partiel ou temporaire. Ces quelques travailleurs qui peuvent prétendre à entrer dans le moule professionnel de la classe moyenne résident probablement dans les banlieues, où la ville leur fait face comme d’un territoire étranger ; en attendant, nous qui continuons de dépendre de la ville comme d’une nécessité à notre auto-reproduction nous nous prenons à imiter le yuppie chimérique dans la robe et la manière : un smartphone et une sombre paire de lunettes cerclée suffit à évoquer l’image d’un professionnel affairé. En réalité, nous sommes tous sans salaire et sous-rémunérés ; nos ordinateurs portables et nos légumes du potager sont de pauvres palliatifs pour les maisons dont nous ne seront jamais propriétaires et les familles que nous n’aurons jamais les moyens de nourrir.
Fait remarquable, l’embourgeoisement quasi-totale des agglomérations urbaines coïncide avec le dernier exode rurale. Comme Mike Davis et d’autres l’ont noté, les dernières décennies ont vu la majorité de la population mondiale se déplacer de la ferme vers la ville ; on pourrait donc s’attendre à ce que l’infrastructure urbaine réponde aux besoins des paysans sans terre et des travailleurs sous-employés, mais c’est l’inverse qui est vrai : à aucun autre moment dans l’histoire récente la main-mise de la bourgeoisie sur la ville n’a été plus fermement assurée. La réalité du travail et de la protection sociale c’est alors la réalité de la vie urbaine. Comme le rêve d’une vie de famille classe moyenne recule de plus en plus loin dans le futur, le prolétariat s’acclimate à des modes de vie qui s’écartent fortement de la norme familiale, en habitant dans des appartements communautaires, en divisant le loyer avec des colocataires ou des camarades de chambre, et en sacrifiant la plupart des vestiges de la vie privée pour la pseudo-vie privée des comptes de messagerie et des avatars en ligne. Pour la majorité des travailleurs récemment urbanisés, la vie communautaire est le seul moyen abordable de survie ; les statistiques recueillies en 2007 montrent que 75 à 80% de travailleurs migrants chinois vivent dans des dortoirs, avec chaque pièce abritant une moyenne de douze personnes. En Amérique et en Europe de l’Ouest, la vie en dortoir des étudiants s’étend par des arrangements de partages prolongés d’appartements, grâce à la fois à l’augmentation des valeurs immobilières urbaines et des marchés de location (en Californie, par exemple, un travailleur touchant le salaire minimum devrait travailler 130 heures par semaine afin de pouvoir payer un loyer d’un appartement de deux chambres, le loyer moyen étant de 1353 $ à l’échelle de l’État) et, plus important encore, au déficit en cours d’emplois. De plus en plus, la famille elle-même ressemble à un arrangement contraint de partage d’appartement, avec des personnes qui vont et viennent de manière autonome, liées non pas à une autre mais aux réseaux sociaux en ligne comprenant des pairs, des collègues de travail et des âmes sœurs semi-anonymes.

Comment se positionnent les ennemis de l’austérité face à cela ? En théorie, l’austérité désigne le retrait d’un état d’assistanat de la reproduction sociale, mais dans la pratique, nous sommes confrontés à l’austérité en tantqu’appauvrissement absolu de la vie future – la promesse du rapport salarial revu à la baisse à presque zéro. Les coupes budgétaires entravent notre capacité à nous reproduire, non pas tant immédiatement (seulement pour les travailleurs licenciés pour qui les coupes budgétaires sont de l’ordre de l’impact d’une fermeture d’usine) que dans le moyen et long terme. Avec la fermeture des programmes d’activités parascolaires sous saisie par exemple, les parents verront l’employabilité future de leurs enfants dépérir et disparaître ; le dé-financement des programmes de santé publique, tels que le dépistage du VIH, érodera l’état de santé des pauvres et des non-assurés ; les travailleurs qui cherchent un emploi dans l’armée seront mis à pied ou refusés – et pourtant nous allons continuer à vivoter au jour le jour, nos attentes “géré” avec une forme quelconque d’anti-dépresseur, notre avenir ramené à une piètre chose. Après des décennies de réforme de l’aide sociale, de tolérance zéro du maintien de l’ordre, et de dé-financement de l’éducation publique et des services sociaux, l’Amérique du prolétariat souffre dans un état de mort vivant : condamnés à protester au nom de notre propre avenir, nos énergies sont détournées de l’ici-et-maintenant vers le peut-être et le pas-tout-à-fait-encore C’est l’aspect le plus sinistre de l’austérité : dans la mesure où il pervertit la temporalité de la crise et de la faillite, nous laissant en vie mais misérables, luttant pour préserver ce que nous n’aurons jamais.

Nous qui nous nous opposons à l’austérité, nous nous trouvons face à un véritable casse-tête : en protestant contre les coupures, nous prolongeons sans le vouloir l’hégémonie du rapport salarial, validant la promesse de la vie domestique patriarcale, de la démocratie libérale, et de toutes les autres fictions tristes du capitalisme d’après-guerre. Pourtant, la misère de l’austérité est réelle et présente ; pour beaucoup d’entre nous, la mort est déjà la condition de la vie – assister à la lente déconfiture du prolétariat grec par exemple (ou celle de East Oakland, ou du Nord Philly). Seul un fou – un bourgeois – se féliciterait de nouvelles réductions. La question est plutôt celle-ci : avec quelle image de la réalité doit-on s’opposer à l’image de rêve du capitalisme du futur ? Si ce n’est pas le rapport salarial, alors quoi ?

Peut-être que les contours de cet autre futur – cette réalité, je devrais dire – sont moins mystérieux que nous avons été amenés à le croire. Dans la recherche d’une contre-image de la famille Norman Rockwell, nous pourrions acter l’état actuel du mode de vie mondialisé du prolétariat, nos dortoirs et appartements partagés, nos familles élargies et nos cercles d’amitié expansifs, et l’activité pour laquelle l’absence de travail nous a si bien nous préparé : la socialisation. Après tout, aucune génération dans l’histoire récente n’a consacré plus de temps et d’attention à la complexité de la vie sociale que la nôtre, non plus que n’importe quelle génération ne s’est si bien elle-même dépouillée de la nécessité de la vie privée ; en ce sens, nous sommes déjà des communards en herbe, nécessitant peu d’entraînement pour un monde sans propriété. Plutôt que de poser la société communiste comme un avenir impossible – un horizon aussi impensable que la famille nucléaire – il faut reconnaître que les conditions de base du communisme existent déjà. Nous sommes la commune, et la famille est notre ennemi.

Il reste, comme TC le souligne à juste titre, le problème de la production, un «plancher de verre» contre lequel dans le domaine de la reproduction sociale se heurteront inévitablement les luttes. En ralliant contre la famille nucléaire, la question ne peut pas être simplement celle de la revendication d’autonomie pour chaque ménage élargi – attacher le drapeau rouge à la girouette du dortoir, en d’autres termes (en pensant que ce serait un acte louable en soi). Nous proposons d’aller plus loin, en agrégeant les branches segmentées de l’auto-reproduction de tout groupe social ou des quartiers afin qu’ils coagulent sous la forme d’une commune et, simultanément, d’exproprier les moyens de satisfaire ces besoins en tant que commune (plutôt que comme des segments isolés d’une main-d’œuvre globale). Cet horizon est immanent au mode de production capitaliste tel qu’il existe actuellement : le capital nous a déjà projetés dans la vie communale, qui la délimite comme une période temporaire de sociabilité extra-familial – la transition précaire vers une existence de classe-moyenne toujours à venir. Mais plus nous attendrons ensemble dans le purgatoire, moins convaincantes nous semblerons ces fables du ciel et de l’enfer. Est-ce que ce monde – ce soi-disant purgatoire, cette vie précaire – est suffisant ? Quand on déplore la disparition d’Occupy, n’est-ce pas l’explosion de la sociabilité qui nous manque surtout – l’activité d’être ensemble en tant que fin en soi ? Qu’est-ce que pourrait être autrement le communisme, si ce n’est la proclamation d’une vie sociale en tant que seul but pour lequel il vaut le coup de lutter ?

La lutte contre l’austérité ne peut aller que dans une seule direction : vers un approvisionnement en matériaux et en outils nécessaires pour vivre ensemble, nous reproduire comme un ensemble : une commune. À tout le moins, nous pourrions commencer par rejeter le modèle de la famille nucléaire tout court – personnellement, mais aussi politiquement (en ce sens, la théorie queer et la théorie de la communisation s’alignent sur la question de la famille). Le patriarcat est en cause ici, mais il n’est pas le seul problème ; la persistance de la forme-famille a longtemps servi à atomiser et maîtriser les communautés prolétaires, marquant l’inclinaison envers la socialisation en tant qu’activité de loisir sans contenu politique et en appliquant le moule de la famille nucléaire comme un moyen de discipliner les pauvres, empêchant par là les familles élargies et les sociétés élargis d’acquérir la validité économique. Il n’est donc pas suffisant de simplement louer la promiscuité ou l’amour libre, il faut aussi chercher à démolir la priorité économique de la forme-famille, en la remplaçant par la forme-commune. Cela signifie de politiser la décision de se séparer en familles isolées, en s’efforçant de subvertir l’importance de la reproduction par le couple hétérosexuel. Les pratiques de l’éducation communiste des enfants sont de cet ordre, ainsi que de la sexualité communiste ; nous ne les trouverez pas dans les expériences utopiques cependant, mais plutôt dans l’activité politique contre le capital. Il ne peut y avoir d’évitement des luttes anti-austérité en d’autres termes ; mais seulement quand nous refusons l’austérité au nom du no future, l’émancipation devient possible dans l’ici-et-maintenant.

  1. 30/05/2013 à 13:09 | #1

    Un titre accrocheur, mais peu de contenu.
    Ce que nous propose les auteurs de l’article, c’est l’alternative: se constituer en communauté, comme réponse a l’austérité.
    Que des gens veuillent vivre comme ça, c’est compréhensible, mais en quoi c’est une réponse communiste? Gérer la pénurie capitaliste de manière collective est en effet souvent plus efficace que de manière individuelle, mais ça reste de la débrouille.
    Et pour aller plus loin, il y a une limite claire au nombre de participants a ces “communes”; un seuil, à partir duquel ce n’est plus “rentable” collectivement: lorsque il y a trop de monde pour le peu à “exproprier” sans (trop) de risques.
    Parlons de luttes, s’il s’agit de combattre l’austérité.

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