« Barbares en avant ! »
Ainsi l’Antiquité confondait-elle tout ce qui ne participait pas de la culture grecque (puis gréco-romaine) sous le même nom de barbare ; la civilisation occidentale a ensuite utilisé le terme de sauvage dans le même sens. Or derrière ces épithètes se dissimule un même jugement : il est probable que le mot barbare se réfère étymologiquement à la confusion et à l’inarticulation du chant des oiseaux, opposées à la valeur signifiante du langage humain ; et sauvage, qui veut dire « de la forêt », évoque aussi un genre de vie animale, par opposition à la culture humaine.
– Claude Lévi Strauss, Race et histoire (1961)
Cette même pression de la population sur les forces productives poussa autrefois les barbares d’Asie à l’invasion dans le vieux monde. […] Pour rester barbares, il fallait rester peu nombreux. Si leur nombre augmentait, l’un restreignait la zone de production de l’autre. Pour cette raison, la population superflue fut obligée de se mettre aux grandes invasions aventureuses qui mena à la constitution des peuples de l’Europe ancienne et moderne.
– Marx, MEW 8, article « Émigration forcée », notre traduction.
Dératisation, arsenic, maisons de travail (work-houses), paupérisation généralisée. Les moulins à bras et autres procédés de travail archaïques resurgissent en pleine civilisation elle-même et faisant corps avec elle. C’est la barbarie lépreuse, la barbarie en tant que lèpre de la civilisation.
– Marx, Manuscrit « Salaire », MEW 6, p. 553. Traduction par Roger Dangeville.
Avec l’extension de l’économie bourgeoise marchande, le sombre horizon du mythe est illuminé par le soleil de la raison calculatrice dont la lumière glacée fait lever la semence de la barbarie.
– Adorno/Horkheimer, Dialectique de la Raison (1944)
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Traduit par stoff et Agitations
Au début du mois de mai 2020, des émeutes de la faim ont éclaté à Santiago du Chili. Les confinements avaient privé des hommes et des femmes de leurs revenus, ce qui faillit les faire sombrer dans la famine. Un vaste mouvement de cantines communautaires auto-organisées s’est rapidement répandu dans tout le pays. Plus tard dans le mois, des émeutes se sont propagées au Mexique en réaction au meurtre par la police de Giovanni López – un ouvrier du bâtiment qui avait été arrêté pour non-port de masque – tandis que des milliers de travailleur·ses itinérant·es désespéré·es brisaient le couvre-feu en Inde. Certain·es travailleur·ses des entrepôts d’Amazon aux États-Unis et en Allemagne se sont mis·es en grève pour protester contre les mauvais protocoles sanitaires face au COVID-19[1]. Pourtant, à la fin du mois de mai, ces agitations ouvrières chez le plus grand distributeur du monde furent rapidement noyées par un mouvement de masse d’une ampleur sans précédent qui a secoué les États-Unis en réponse au meurtre policier répugnant de George Floyd, diffusé en direct. Largement initié par les habitant·es noir·es de Minneapolis, le soulèvement a rapidement été rejoint par des Américains de tous lieux, races et classes. Dans les premières émeutes et manifestations, on pouvait même apercevoir quelques soutiens de miliciens dans un front transversal (Querfront[2]) digne de l’époque de QAnon[3]. Lire la suite…
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